Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION. VII

sait quel être abstrait, privé de conscience et de liberté. Grâce à cette conscience de nous-mêmes et de notre libre arbitre sur laquelle se fondent à la fois et notre méthode et notre philosophie tout entière, ce dieu abstrait et vague dont nous venons de parler, le dieu du panthéisme devient à jamais impossible, et nous voyons à sa place la Providence, le Dieu libre et saint que le genre humain adore, le législateur du monde moral, la source en même temps que l’objet de cet amour insatiable du beau et du bien qui se mêle au fond de nos âmes à des passions d’un autre ordre.

6° Enfin nous pensons que l’histoire de la philosophie est inséparable de la philosophie elle-même, et qu’elles forment toutes deux une seule et même science. Tous les problèmes agités par les philosophes, toutes les solutions qui en ont été données, tous les systèmes qui ont régné tour à tour ou se sont combattus dans un même temps, sont, de quelque manière qu’on les juge, des faits qui ont leur origine dans la conscience humaine, des faits qui éclairent et qui complètent ceux que chacun de nous découvre en lui-même car comment auraient-ils pu se produire s’ils n’avaient pas en nous, dans les lois de notre intelligence, leur fondement et leur raison d’être ? Indépendamment de ce point de vue, qui fait de l’histoire de la philosophie comme une contre-épreuve et un complément nécessaire de la psychologie, nous admettons que la vérité est de tous les temps et de tous les lieux, qu’elle fait en quelque sorte l’essence même de l’esprit humain, mais qu’elle ne se manifeste pas toujours sous la même forme, ni dans la même mesure. Nous croyons enfin à un sage progrès, compatible avec les principes invariables de la raison, et dès lors l’état présent de la science se rattache étroitement à son passé ; l’ordre dans lequel les systèmes philosophiques se suivent et s’enchaînent, devient l’ordre même qui préside au développement de l’intelligence humaine à travers les siècles et dans l’humanité entière.

Tels sont, en résumé, les principes que nous professons et que nous avons essayé de mettre en lumière dans ce livre. Si nous sommes dans l’erreur, qu’on nous le prouve ; qu’on nous montre ailleurs, si l’on peut, les fondements éternels de toute morale, de toute religion, de toute science, ou qu’on avoue franchement qu’on regarde toutes ces choses comme de pures chimères. Si l’on trouve que nous ne sommes pas toujours restés fidèles à nous-mêmes, que cette profession de foi que nous venons d’exposer a été maintes fois trahie ; eh bien, que l’on ne tienne aucun compte des difficultés d’une œuvre comme celle-ci, où les sujets les plus divers se succèdent brusquement, sans autre transition qu’une lettre de l’alphabet ; que l’on nous signale et qu’on nous reproche sévèrement chacune de nos inconséquences. Mais aller au-delà, soupçonner au fond de nos cœurs et arracher de nos paroles, à force de tortures, des convictions différentes de celles que nous exprimons, c’est le lâche procédé de la calomnie. Nous déclarons d’avance que nous n’opposerons à toute attaque de ce genre, que le silence et le mépris.

Cependant, nous avons hâte de le reconnaître, les principes que nous venons de présenter comme la substance de notre œuvre et le fond même de notre pensée, ont aussi des adversaires avoués, sincères, sur qui il est nécessaire que nous nous expliquions ici en peu de mots, non pas tant pour les réfuter, que pour dessiner plus nettement encore notre propre position et la situation générale des esprits, relativement aux questions philosophiques.

Il y a aujourd’hui, en France, des hommes qui ont entrepris une croisade régulière contre la philosophie et contre la raison, qui regardent comme des actes de rébellion ou de folie toutes les tentatives faites jusqu’à ce jour pour constituer une science philosophique indépendante de l’autorité religieuse, et qui pensent que le temps est venu de rentrer enfin dans l’ordre, c’est-à-dire que la philosophie, que les sciences en général, si elles tiennent absolument à l’existence, doivent redevenir comme autrefois un simple appendice de la théologie. Nous ne signalerons pas ici les essais malheureux qui ont été faits récemment en ce genre nous ne montrerons pas, comme nous pourrions le faire très-facilement, que la foi n’a pas moins à s’en plaindre que le bon sens nous dirons seulement qu’à la considérer en elle-même, la prétention dont nous venons de parler est, au plus haut point, dépourvue de raison. De quoi s’agit-il, en effet ? D’étouffer le principe de libre examen dans les choses qui sont du ressort de l’intelligence humaine. Or ce principe, qu’on l’ac-