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VI PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

tutélaire qui accompagne l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe, toujours en lui parlant de Dieu et en lui montrant le ciel comme sa vraie patrie, nous croyons cependant que la philosophie et la religion sont deux choses tout à fait distinctes, dont l’une ne saurait remplacer l’autre, et qui sont nécessaires toutes deux à la satisfaction de l’âme et à la dignité de notre espèce ; nous croyons que la philosophie est une science tout à fait libre, qui se suffit à elle-même et ne relève que de la raison. Mais nous soutenons en même temps que, loin d’être une faculté individuelle et stérile, variant d’un homme à un autre et d’un jour au jour suivant, la raison vient de Dieu ; qu’elle est comme lui immuable et absolue dans son essence ; qu’elle n’est rien moins qu’un reflet de la divine sagesse éclairant la conscience de chaque homme, éclairant les peuples et l’humanité tout entière sous la condition du travail et du temps.

2° Nous ne reconnaissons pas de science sans méthode. Or la méthode que nous avons adoptée et que nous regardons comme la seule légitime, c’est celle qui a déjà deux fois régénéré la philosophie, et par la philosophie l’universalité des connaissances humaines. C’est la méthode de Socrate et de Descartes, mais avec plus de rigueur et développée à la mesure actuelle de la science, dont l’horizon s’est agrandi avec les siècles. Également éloignée et de l’empirisme, qui ne veut rien admettre au-delà des faits les plus palpables et les plus grossiers, et de la pure spéculation, qui se repaît de chimères, la méthode psychologique observe religieusement, à la clarté de cette lumière intérieure qu’on appelle la conscience, tous les faits et toutes les situations de l’âme humaine. Elle recueille un à un tous les principes, toutes les idées qui constituent en quelque sorte le fond de notre intelligence puis, à l’aide de l’induction et du raisonnement, elle les féconde, elle les élève à la plus haute unité et les développe en riches conséquences.

3° Grâce à cette manière de procéder, et grâce à elle seule, nous enseignons en psychologie le spiritualisme le plus positif, alliant le système de Leibniz à celui de Platon et de Descartes, ne voulant pas que l’âme soit une idée, une pensée pure, ni une force sans liberté, destinée seulement à mettre en jeu les rouages du corps, ni quelque forme fugitive de l’être en général, laquelle une fois rompue ne laisse après elle qu’une existence inconnue à elle-même, une immortalité sans conscience et sans souvenir. Elle est à nos yeux ce qu’elle est en réalité, une force libre et responsable, une existence entièrement distincte de toute autre, qui se possède, se sait, se gouverne et porte en elle-même, avec l’empreinte de son origine, le gage de son immortalité.

4° En morale, nous ne connaissons point de transaction entre la passion et le devoir, entre la justice éternelle et la nécessité, c’est-à-dire l’intérêt du moment. L’idée du devoir, du bien en soi, est pour nous la loi souveraine, qui ne souffre aucune atteinte et repousse toute condition, qui oblige les États et les gouvernements aussi bien que les individus, et doit servir de règle dans l’appréciation du passé comme dans les résolutions pour l’avenir. Mais nous croyons en même temps que, sous l’empire de cette loi divine, dont la charité et l’amour de Dieu sont le complément indispensable, tous les besoins de notre nature trouvent leur légitime satisfaction ; toutes les facultés de notre être sont excitées à se développer dans le plus parfait accord ; toutes les forces de l’individu et de la société, rassemblées sous une même discipline, sont également employées au profit, nous n’osons pas dire du bonheur absolu, qui n’est pas de ce monde, mais de la gloire et de la dignité de l’espèce humaine.

5° Dans toutes les questions relatives à Dieu et aux rapports de Dieu avec l’homme, nous avons fait au sentiment sa part, nous avons reconnu, plus qu’on ne l’avait fait avant nous peut-être, sa légitime et salutaire influence, tout en maintenant dans leur étendue les droits et l’autorité de la raison. Nous accordons à la raison le pouvoir de nous démontrer l’existence du Créateur, de nous instruire de ses attributs infinis et de ses rapports avec l’ensemble des êtres ; mais par le sentiment nous entrons en quelque sorte en commerce plus intime avec lui, et son action sur nous est plus immédiate et plus présente. Nous professons un égal éloignement et pour le mysticisme qui, sacrifiant la raison au sentiment et l’homme à Dieu, se perd dans les splendeurs de l’infini, et pour le panthéisme, qui refuse à Dieu les perfections mêmes de l’homme, en admettant sous ce nom on ne