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PRÉFACE


DE LA PREMIÈRE ÉDITION

Lorsqu’après bien des tâtonnements et des vicissitudes, à force de luttes, de conquêtes et de préjugés vaincus, une science est enfin parvenue à se constituer, alors commence pour elle une autre tâche, plus facile et plus modeste, mais non moins utile peut-être que la première : il faut qu’elle fasse en quelque sorte son inventaire, en indiquant avec la plus sévère exactitude les propriétés douteuses, les valeurs contestées, c’est-à-dire les hypothèses et les simples espérances, et ce qui lui est acquis d’une manière irrévocable, ce qu’elle possède sans condition et sans réserve il faut que, substituant à l’enchaînement systématique des idées un ordre d’exposition plus facile et plus libre, elle étale aux yeux de tous la variété de ses richesses, et invite chacun, savant ou homme du monde, à y venir puiser sans effort, selon les besoins et même selon les caprices du moment. Tel nous paraît être en général le but des encyclopédies et des dictionnaires. Grâce à l’exemple donné par le dernier siècle, dont les erreurs ne doivent pas nous faire méconnaître les bienfaits, il existe aujourd’hui un recueil de ce genre pour chaque branche des connaissances humaines, et l’on ne voit pas que, pour être plus répandue, la science ait perdu en profondeur, ni que les esprits soient devenus moins actifs ou moins industrieux. Pourquoi donc la philosophie ferait-elle exception à la loi commune ? Pourquoi, lorsque tant de haines intéressées se soulèvent contre elle, resterait-elle en arrière de ce mouvement qu’elle seule a provoqué ? Mais peut-être le temps n’est-il pas encore arrivé pour la philosophie de franchir le seuil de l’école et d’offrir au nom de la raison sous une forme accessible à toutes les intelligences, un corps de doctrines où l’âme humaine puisse se reconnaître avec toutes ses facultés, tous ses besoins, tous ses devoirs et ses droits, et ces sublimes espérances qu’une main divine peut seule avoir déposées dans son sein. Peut-être faut-il donner raison à ceux qui prétendent qu’après trois mille ans d’existence, elle ne sait encore que bégayer sur des questions frivoles, condamnée sur toutes les autres à la plus honteuse et la plus irrémédiable anarchie. Nous avons voulu répondre à tous ces doutes comme Diogène répondit autrefois à ceux qui niaient le mouvement. Nous nous sommes réunis un certain nombre d’amis de la science, de membres de l’Institut et de professeurs de l’Université ; nous avons mis en commun les fruits de nos études, et, sans autre autorité que celle des idées mêmes que nous cherchons à répandre, sans autre artifice que l’accord spontané de nos convictions, nous avons composé ce recueil où tous les problèmes qui intéressent à un certain degré l’homme intellectuel et moral, sont franchement abordés et nettement résolus : où la variété de la forme, la diversité des détails ne met aucun obstacle à l’unité du fond et laisse subsister dans les principes le plus invariable accord.

Et quels sont ces principes ? Nous n’éprouvons ni embarras ni hésitation à les exposer ici en quelques mots ; car il n’est pas dans notre intention d’en faire mystère, et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’ils gouvernent notre pensée. Les voici donc sous la forme la plus simple dont il soit possible de les revêtir, afin que chacun sache tout d’abord qui nous sommes et ce que nous voulons.

1° Gardant au fond de nos cœurs un respect inviolable pour cette puissance