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lois de la démonstration, dans le seul but de les connaître, comme a fait Aristote, disent que la logique n’est qu’une science, tandis que d’autres, pensant que la logique doit dicter aussi des règles pour la direction de l’esprit, enseignent les methodes qui conviennent à la recherche des différents objets de la connaissance, et que c’est surtout en vue de cette utilité qu’elle étudie les lois de l’entendement, disent qu’elle est à la fois une science et un art, surtout un art, comme les auteurs de la Logique de Porl-Royal qui l’ont intitulée l’Art de penser. Voy. Arts (Beaux-), Logique.

ARTS (Beaux-). La théorie des beaux-arts appar­tient à une des sciences qui forment le domaine de la philosophie, à l’esthétique. On essayera de donner dans cet article une idée de l’art en gé­néral, de déterminer sa nature et son but, et de montrer ses rapports avec la religion et la phi­losophie.

  1. Plusieurs opinions ont été émises sur le but de l’art ; la plus ancienne et la plus commune est celle qui lui donne pour objet, l’imitation de la nature : de là le nom d’a ?’is d’imilation, par lequel on désigne souvent les beaux-arts. Ce système, cent fois réfuté et reproduit sans cesse, ne supporte pas l’examen, il contredit l’idée de l’art et rabaisse sa dignité ; il ne peut se défendre qu’à l’aide d’une foule de restrictions et de con­tradictions ; il confond le but de l’art avec son origine. D’abord, pourquoi l’homme imiterait-il la nature ? quel intérêt trouverait-il à ce jeu puéril ? le plaisir de se révéler son impuissance, car la copie resterait toujours au-dessous de l’original. Puis, quel est l’art qui imite réelle­ment ? est-ce l’architecture ? Que l’on me montre le modèle du Parthénon ; quand il serait vrai que le premier temple ait été une grotte, et que les arceaux de la cathédrale gothique rappellent l’ombrage des forêts, on avouera que l’imitation s’est bien écartée du type primitif. Il faudrait donc, pour être conséquent, soutenir que, plus l’art s’est éloigné de son origine, plus il a dé­généré ; que c’est la pagode indienne, et non le temple grec, qui est l’œuvre classique. La sculpture elle-même, qui reproduit les belles formes du corps humain, ne se borne pas davantage à imiter. En supposant qu’il se soit trouvé un homme pour servir de modèle à l’Apollon, où le sculpteur a-t-il pris les traits qu’il a donnés au dieu ? la noblesse et le calme divins qui rayonnent dans cette figure ? 11 a, dites-vous, idéalisé la forme humaine et son expression ; je le crois comme vous ; mais qu’est-ce que l’idéal ? ce mot n’a pas de sens dans votre système. Le principe de l’imitation, qui offre quelque vraisemblance, appliqué aux arts figuratifs, perd tout à fait son sens quand il s’agit des arts qui ne s’adressent plus aux yeux, mais au sentiment et à l’imagination, à la musique et à la poésie. Ainsi, la poesie, pour ne pas s’écarter de sa loi suprême, devra se renfermer exclusive­ment dans le genre descriptif. Elle se bornera à reproduire les scènes variées de la nature et les diverses situations de la vie humaine ; de plus, comme la poésie dispose des moyens particuliers à chacun des autres arts, elle les imitera à leur tour. Le poète sera l’imitateur par excellence ; mais ce mot est un injurieux contre-sens : poëte, en effetj veut dire créateur, et non imitateur. Ce systeme méconnaît donc le but de l’art, qui n’est pas d’imiter, mais de créer, non de creer de rien, ce qui n’est pas donné à l’homme, mais de représenter, avec des matériaux empruntés à la nature, les idées de la raison. Ces idées que l’homme porte en lui-même et qui sont l’essence de son esprit, la nature les renferme aussi dans son sein ; ce sont elles qui répandent dans le monde la vie et la beauté. La nature les révèle et les manifeste, mais d’une manière imparfaite ; elles nous apparaissent également dans la vie humaine, confondues avec des particularités qui les obscurcissent et les défigurent. L’art s’en saisit à son tour et les dépose dans des images plus pures, plus transparentes et plus belles, qu’il crée librement par la puissance qui lui est propre. Représenter des idées par des symboles qui parlent à la fois aux sens, à l’âme et à la raison, tel est le véritable but de l’art ; il n’en a pas d’autre. C’est ce que fait l’architecture par des lignes géométriques, la sculpture par les formes du règne organique et du corps humain en particu­lier, la peinture par les couleurs et le dessin, la musique par les sons, et la poésie par tous ces symboles réunis. Ainsi, la nature et l’homme représentent tous deux ces idées divines, l’une fatalement et aveuglément, l’autre avec conscience et liberté. L’homme ne copie pas la nature, il s’inspire de son spectacle et lui dérobe ses formes pour en composer des œuvres qu’il ne doit qu’à son propre genie. Il lui laisse le soin de produire des créatures vivantes ; en cela, il se garderait bien de vouloir rivaliser avec Dieu ; car alors il ne parviendrait qu’à fabriquer des automates ou à représenter des êtres qui n’auraient de la vie qu’une apparence mensongère. Mais s’agit-il de créer des symboles qui manifestent la pensée aux sens et à l’esprit, qui aient la vertu de réveiller tous les sentiments de l’âme humaine, de faire naître l’enthousiasme et de nous transporter dans un monde idéal ; ici, non-seulement le génie de l’homme peut lutter avec avantage contre la na­ture, mais elle doit reconnaître en lui son maître. Il est son maître dans l’art comme il l’est dans l’industrie lorsqu’il assujettit ses forces à son empire et les plie à ses desseins, comme il l’est dans la science lorsqu’il lui arrache ses secrets et découvre ses lois, comme il l’est dans la morale lorsqu’il dompte ses passions et les soumet à la règle du devoir, comme il l’est partout par le privilège de sa raison et de sa liberté.

En résumé, l’art a pour but de représenter, au moyen d’images sensibles créées par l’esprit de l’homme, les idées qui constituent l’essence des choses ; c’est là son unique destination, son prin­cipe et sa fin ; c’est de là qu’il tire à la fois son indépendance et sa dignité. Cette tâche lui suffit, et il n’est pas permis de lui en assigner une autre. Elle fait de lui une des pLus hautes manifestations de l’intelligence humaine, car il est une révéla­tion ; il révèle la vérité sous la forme sensible. C’est en même temps ce qui lui impose des con­ditions dont il ne peut s’affranchir, et des limites qu’il ne peut dépasser.

Que l’on examine, à la lumière de ce principe, les doctrines qui donnent à l’art un autre but, par exemple, Y agrément ou Yutile, ou même un but moral et religieux. Ces systèmes confondent les accessoires avec le fait principal, les consé­quences avec le principe, l’effet avec la cause. En outre, ils ont le grave inconvénient de faire de l’art un instrument au service d’un objet étranger, et de lui ôter sa liberté, qui est son essence et sa vie. Longtemps on a méconnu l’idépendance de l’art ; aujourd’hui encore, chaque parti veut l’enrôler sous sa bannière : les uns en font un instrument de civilisation, un moyen d’éducation pour le genre humain ; d’autres de­mandent que les monuments et les œuvres de l’art offrent avant tout un caractère religieux ; enfin, le plus grand nombre ne voit dans ies productions des arts qu’un objet d’agrément. Tous repoussent ce qu’ils appellent la théorie de l’art pour l’art. Cette théorie, nous n’hésitons pas à l’admettre, mais non avec l’étroite et fausse