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certainement à Leibniz des éminentes facultés qui constituent les penseurs de premier ordre dont s’honore l’humanité ; mais, par le caractère et la diversité de ses études, par les occupations les plus ordinaires de sa vie, les habitudes de son esprit encyclopédique, Leibniz ne s’est pas un seul instant posé la question à laquelle Descartes a, pour ainsi dire, consacré son existence entière, et à laquelle il rapportait toute sa force et toute sa gloire. Le problème de la méthode n’a pas occupé le noble génie qui a écrit la Théodicée, le mathématicien qui a découvert le calcul différentiel, l’auteur de tant de travaux d’histoire et de droit, le rénovateur de l’éclectisme et le pacificateur de la philosophie. Mais peut-être Leibniz a-t-il pensé qu’après Descartes il ne restait rien à faire ; que la méthode fondée par son prédécesseur était complète autant qu’elle était vraie, et que, pour lui, il n’avait qu’à suivre des traces aussi sûres. Leibniz, du reste, n’a jamais déclaré aussi nettement son approbation ; et cette explication, si elle était juste, serait la meilleure justification de son silence.

Quand on voit clairement de quelle importance est la méthode en philosophie, quand on a bien compris que sans elle il n’y a, pour ainsi dire, pas de philosophie réelle, on conçoit mieux cette ardeur passionnée que les plus sages ont apportée à expliquer et à propager leur méthode. Ce n’est pas sans une sorte d’ironie qu’on a parlé quelquefois de l’enthousiasme de Socrate et de Platon pour leur méthode, et des préoccupations de Descartes pour la sienne. Il est vrai que parfois cette affection toute paternelle peut avoir eu ses excès et ses aveuglements ; Kant, par exemple, a certainement fort exagéré les résultats qu’on pouvait espérer du criticisme ; mais, au fond, j’admire bien plutôt que je ne blâme ces prétentions immenses des réformateurs en philosophie. Ils ont tous compris que la méthode était le fond même de la science et l’instrument invincible de ses révolutions et de ses progrès. L’amour-propre a pu s’égarer, mais son mobile était parfaitement légitime, et le but proposé à ces nobles efforts était assez grand pour les faire naître et les payer.

C’est qu’en effet, pour prendre les choses dans toute leur portée et leur grandeur, la méthode bien appliquée est le seul moyen scientifique de former dans l’âme humaine ces croyances essentielles sans lesquelles elle ne peut vivre. Sous l’autorité de la raison, telle que la Providence l’a faite en nous, la méthode nous révèle avec évidence ce que nous sommes, ce qu’est Dieu, d’où nous venons, et ce qu’est le monde où il nous a placés. Elle nous apprend à quelle source se puisent la certitude et la foi dignes de l’intelligence de l’homme : elle nous montre le principe vivant et indéfectible de toutes nos connaissances ; elle nous instruit avec une autorité impérieuse et toute-puissante de nos devoirs ; elle découvre et proclame la loi morale qui vit au fond de notre conscience ; elle la sonde et l’éclaire dans ses replis les plus délicats et les plus cachés. Elle retrouve Dieu en nous dans son empreinte la plus manifeste et la plus féconde ; et, après nous avoir instruits sur nous-mêmes et sur Dieu, elle nous apprend encore à connaître le monde, en nous dévoilant les principes sans lesquels il cesserait d’être intelligible.

En un mot, sans la méthode, la philosophie peut être en ore grande, féconde, unie ; mal n’a rien de régulier ni de scientifique. Elle s’ign lôme tout en gardant la prétention de tout comprendre et de tout expliquer.

Consultez sur la Méthode : Platon, VIe et VIIe livres de la République ; — Aristote, Organon ;


— Bacon, Novum Organum ; — Descartes, Discours de la Méthode ; — la Logique de Port-Royal, 4e partie ; — Malebranchc, Recherche de la vérité ; — Spinoza, de la Réforme de l’entendement : — Newton, Régulœ philosophandi, dans la 3e partie de son traité des Principes mathématiques, etc. ; — Leibniz, De vera methodo philosophiœ et theologiœ ; — J. F. W. Herschel, Discours sur l’étude de la philosophie naturelle, traduit en français par P…, Paris, 1834, in-18 ; — Th. Jouffroy, Préface de la traduction des œuvres de Th. Reid ; — P. Gratry, la Logique, Paris, 1860, 2 vol. in-12 ; — Waddington, Essais de logique, Paris, 1857, in-8 ; — Stuart Mill, System of logic, London, 1865, 2 vol. in-8.

B. S.-H.

MÉTHODOLOGIE est un terme du langage que Kant a formé pour son usage. La logique se divise suivant lui en deux parties, la doctrine des principes, qui a pour objet les conditions de la perfection de la connaissance, et la méthodologie, qui doit déterminer la forme générale de toute science, la manière de procéder pour construire n’importe quelle science. Outre cette méthodologie générale, qui constitue la technique de la logique, il y a des méthodologies particulières, qui varient avec chaque science, et dont l’objet est de déterminer l’ensemble des procédés à suivre pour l’étudier ou l’exposer. La raison pratique a elle-même une méthodologie : c’est la recherche des moyens à employer « pour ouvrir à ses lois un accès dans l’âme humaine, pour leur donner de l’influence sur ses maximes, et rendre pratique subjectivement la raison objectivement pratique. » Voir Kant, Logique : Introduction II, 3, et 2e partie, § 94. Plus simplement on appelle méthodologie la partie de la logique qui traite de la méthode, et qu’on oppose parfois, sous le nom de logique appliquée, à l’étude des lois de la pensée, ou logique pure.

MÉTROCLÈS, philosophe cynique, disciple de Cratès et frère de la célèbre Hipparchie. Il commença par adopter la doctrine de Platon, enseignée par Xénocrate, puis il s’attacha à Théophraste et à la philosophie péripatéticienne ; enfin, Cratès, devenu son beau-frère par son mariage avec Hipparchie, le convertit au cynisme par un moyen parfaitement en harmonie avec ce système (Diogène Laërce, liv. VI, ch. xcxiv). Il avait composé plusieurs écrits, mais, arrivé à un âge avancé, il les jeta au feu, et, ne se trouvant pas lui-même plus utile que ses livres, il se donna la mort. À partir de lui, on ne trouve plus dans l’école cynique que des noms de philosophes obscurs, tels que ceux de Théombrotc et Cléomène, disciples de Métroclès, Démétrius et Timarque d’Alexandrie, Echéclès, etc.

MÉTRODORE de Chio. Ce philosophe ne nous est connu que par quelques mots de Diogène Laërce, qui, dans sa biographie de Pyrrhon (liv. IX), rapporte que le maître de ce dernier, Anaxarque d’Abdère, était lui-même disciple de Métrodore de Chio. Diogène ajoute que, suivant les uns, Métrodore avait eu pour maître Nessus de Chio, tandis que, d’après d’autres récits, il avait fréquenté l’école de Démocrite. Ces deux opinions ne sont pas absolument contradictoires. En effet, au rapport de Cicéron et de Sextus Enipiricus, Nessus de Chio était lui-même disciple de Démocrite, de telle sorte qu’en toute hypothèse Métrodore peut être regardé comme se rattachant, soit immédiatement, soit médiatement au successeur de Leucippe, dans l’école d’Abdère. Ce fut à abdère que Métrodore rencontra Anaxarque, qui devint son disciple. Or, Anaxarque fut le maître de Pyrrhon. Métrodore fut donc le précurseur de la grande école sceptique