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Les sens no sauraient être considérés comme critérium de la vérité, et on ne saurait en tirer aucun argument, car leurs perceptions (rompent souvent. En somme, les motecallemin détruisent toute causalité, et déchirent, pour ainsi dire, tous les liens de la nature, pour ne laisser subsister réellement que le Créateur seul.

  • Tous les éclaircissements relatifs aux prin­cipes philosophiques des motecallemin et les preuves qu’ils donnent de la nouveauté du monde, de l’unité et de l’immatérialité de Dieu, se trouvent dans le More nebouchim de Mai­monide, lrc partie, ch. lxxiii à lxxvi. Malgré les assertions d’un orientaliste moderne, qui nous assure en savoir plus que Maimonide et Averrlioès, nous croyons devoir nous en tenir aux détails du More, et nous pensons qu’un philo­sophe arabe du xue siècle, qui avait à sa dispo­sition les sources les plus authentiques, qui a Beaucoup lu et qui surtout a bien compris ses auteurs, mérite beaucoup plus de confiance qu’un écrivain de nos jours, lequel nous donne les résultats de ses études sur deux ou trois ou­vrages relativement très-modernes.

On a déjà vu comment les motazales, prin­cipaux représentants de l’ancien calâm, pour sauver l’unité et la justice absolues du Dieu créateur, refusaient d’admettre les attributs, et accordaient à l’homme le libre arbitre. Sous ces deux rapports, ils étaient d’accord avec les phi­losophes. Ce sont eux qu’on doit considérer aussi comme les fondateurs du calâm philosophique, dont nous venons de parler, quoiqu’ils n’aient pas tous professé ce système dans toute sa ri­gueur. L’exagération des principes du calâm semble être due à une nouvelle secte religieuse, qui prit naissance au commencement du xe siè­cle, et qui, voulant maintenir les principes or­thodoxes contre les motazales et les philosophes, dut elle-même adopter un système philosophique pour combattre ses adversaires sur leur propre terrain, et arriva ainsi à s’approprier le calâm et à le développer. La secte dont nous parlons est celle des ascharites, ainsi nommée de son fondateur Aboulhasan Ali ben-Ismaël al-Aschari de Bassora (né vers l’an 880 de J. C.. et mort vers 940). Il fut disciple d’Abou-Ali al-Djabbaï, un des plus illustres motazales, que la mère d’Aschari avait épousé en secondes noces. Élevé dans les principes des motazales, et déjà un de leurs principaux docteurs, il déclara publi­quement, un jour de vendredi, dans la grande mosquée de Bassora, qu’il se repentait d’avoir professé des doctrines hérétiques, et qu’il recon­naissait la préexistence du Korân, les attributs de Dieu et la prédestination des actions humaines. Il réunit ainsi les doctrines des djabarites et des cifatites ; mais les ascharites faisaient quelques réserves, pour éviter de tomber dans l’anthropo­morphisme des cifatites, et pour ne pas nier toute espèce de mérite et de démérite dans les actions humaines. S’il est vrai, disent-ils, que les attributs de Dieu sont distincts de son essence, il est bien entendu qu’il faut écarter toute com­paraison de Dieu avec la créature, et qu’il ne faut pas prendre àlalettre lesanthropomorphismes du Korân. S’il est vrai encore que les actions des hommes sont créées par la puissance de Dieu, que la volonté éternelle et absolue de Dieu est la cause primitive de tout ce qui est et de tout ce qui se fait, de manière que Dieu soit réel­lement l’auteur de tout bien et de tout mal, sa volonté ne pouvant être séparée de sa prescience, l’homme a cependant ce qu’ils appellent [’acqui­sition (casb), c’est-à-dire, un certain concours dans la production de l’action créée, et acquiert par là un mérite ou un démérite (voy. Pococke,

Specimen liist. Arab., p. 239, 240, 249). C’est par cette hypothèse de Y acquisii ion, chose in­saisissable et vide de sens, que plusieurs doc­teurs ascharistes ont cru pouvoir attribuer à l’homme une petite part dans la causalité des actions. Ce sont les ascharites qui ont poussé jusqu’à l’extrémité les propositions des accidents et de la réalité des attributs négatifs que nous avons mentionnées parmi celles des motecal­lemin, et ont soutenu que les accidents naissent et disparaissent constamment par la volonté de Dieu; ainsi, par exemple, lorsque l’homme écrit, Dieu crée quatre accidents qui ne se tiennent par aucun lien de causalité, savoir:1 « la volonté de mouvoir la plume ; 2“ la faculté de la mou­voir ; 3° le mouvement de la main. 4 » celui de la plume. Les motazales, au contraire, disent que Dieu, à la vérité, est le créateur de la fa­culté humaine, mais que, par cette faculté créée, l’homme agit librement; certains attributs né­gatifs sont de véritables privations et n’ont pas de réalité, comme, par exemple, la faiblesse qui n’est que la privation de la force, l’ignorance qui est la privation du savoir (voy. Moré, liv. I. ch. lxxiii, proposit. 6 et 7. Ahron ben Elia. Etz Hayyim, in-8, Leipzig, 1841, p. 115).

On voit que les motecallemin, ou les atomistes. comptaient dans leur sein des motazales et des ascharites. Ces sectes et leurs différentes subdi visions ont dû nécessairement modifier çà et là le système primitif, et le faire plier à leurs do.trines particulières. Le mot motecallemin se prenait, du reste, dans un sens très-vaste, et désignait tous ceux qui appliquaient les raison4 nements philosophiques aux dogmes religieux, par opposition aux fakihs, ou casuistes, qui se bornaient à la simple tradition religieuse, et il ne faut pas croire qu’il suffise de lire un auteu quelconque qui dit traiter la doctrine du calâm. pour y trouver le système primitif des mote : allemîn atomistes.

Au xe siècle le calâm était tout à fait à la mode parmi les Arabes. A Bassora il se forma une société de gens de lettres qui prirent le nom de Frères de la pureté ou de la sincérité (Ikhwân al-çafâ) et qui avaient pour but de rendre plus populaires les doctrines amalgamées de la religion et de la philosophie. Ils publièrent à cet effet une espèce d’encyclopédie composée de cinquante traités^ où les sujets n’étaient point solidement discutes, mais seulement effleurés, ou du moins envisagés d’une manière familière et facile. Cet ouvrage, qui existe à la Bibliothèque nationale ; peut donner une idée de toutes les études répan­dues alors parmi les Arabes. Repoussés par les dévots comme impies, les encyclopédistes n’eu­rent pas grand accueil près des véritables philo­sophes.

Les éléments sceptiques que renferme la doc­trine des motecallemin portèrent aussi leurs fruits. Un des plus célèbres docteurs de l’école des ascharites, Abou-Hamed al-Gazàli. théologien philosophe, peu satisfait d’ailleurs des théories des motecallemin, et penchant quelquefois vers le mysticisme des soufis. employa habilement le scepticisme, pour combattre la philosophie au profit de la religion, ce qu’il fit dans un ouvrage intitulé : Tehâfot al-falâsifa (la Destruction des philosophes), où’il montra que les philosophes n’ont nullement des preuves évidentes pour éta­blir les vingt points de doctrine (savoir les trois points que nous avons mentionnés ci-dessus et dix-sept points secondaires) dans lesquels ils se trouvent en contradiction avec la doctrine reli­gieuse (voy. à l’article Gazali). Plus tard IbnRoschd écrivit contre cet ouvrage la Destruction de lu destruction (Tehâfot-al-tenâfot)