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demander pourquoi, puisqu’il n’y avait là personne, elle résisterait à ce singulier amant, qui surgissait ainsi, de partout, exalté, vibrant, diabolique, et qui finissait par sortir d’une cuvette, comme elle s’y attendait le moins, pour achever de la conquérir.

Ébloui de la soudaineté de son bonheur et bien loin de se douter des pensées qu’agitait la jeune femme, Jacques goûtait avec frénésie une bouche savante et douce. Puis il comprit qu’il fallait moins se presser et en quelques secondes d’un mouvement de passion fit un art. Enfin, il songea à toucher de ses mains, pour bien s’assurer de sa réalité, le corps de cette vision charmante. Il la força à s’asseoir, se mit à genoux devant elle et de ses deux paumes l’enveloppa d’une longue caresse qui, comme un vêtement, tomba des épaules aux genoux et, remontée aux hanches, comme une ceinture, l’étreignit.

— Vous êtes vraie, murmurait-il, vous existez… Anne ! mon amour !…

Très amusée, la dame blonde rêvait. À son tour, elle lui prit la tête et regarda avec intensité cette figure de tout jeune homme, qui ne savait rien de rien…

Elle pensait :

— Quelle idée a-t-il donc de m’aimer aussi fort ! Il est fou, ce ne fait aucun doute, mais il est ardent et sincère. Si je le prends, cela va beaucoup compliquer ma vie. Il est vrai que voilà une perspective qui n’a point à m’effrayer… Et, d’un autre côté, si je ne cède pas, je le regretterai, parce que cette passade eût représenté une chose nouvelle. Je ne fus habituée qu’à des calculs, des calculs, et encore des calculs… ou, sinon, du vice, comme avec cette brute de… Pouah ! Comment le lâcher celui-là ? Ah ! que ce serait agréable de changer avec celui-ci !… Celui-ci ? Mais il est charmant, il est partout à la fois, naïf et cependant