Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saient à être de purs cerveaux. — Est-ce qu’on a des bonnes, mon cher ? Lisez donc plutôt ce sonnet de Verlaine.

Mais ce soir-là, Juliette en avait plein le cœur. Elle avait entendu, entre le petit Juigné de Chamaré et sa mère, la phrase indubitable qui fixait la date et l’heure du rendez-vous. C’était le lendemain même à trois heures… Une gorgée d’amertume humaine lui noyait la bouche… Et cependant, cela, on ne pouvait le raconter à personne.

Elle serra plus fort le bras de Jacques.

— J’ai du noir ! dit-elle.

Puis elle sourit. Et Jacques, à son tour, lui prit la main, l’étreignit et répondit doucement :

— Faut pas…

Juliette était toute détendue. Elle avait bien envie de pleurer ; mais comme elle ne le pouvait pas, à cause du bal, elle se mit à rire trop fort. Et Jacques lui donna ce conseil absurde et excellent :

— Si vous avez du noir, il faut vous dire à l’instant : « Je ne veux pas » et danser, et danser toute la nuit. Voilà ! Et si vous pensez en avoir encore demain, il faut demander à cette vieille ganache d’ami Jacques : « Ami Jacques, venez demain, me lire une de ces jolies histoires, qui ont été écrites par de braves gens, pour distraire les petites filles de leurs chagrins sans raison. »

— Oh ! oui, c’est cela, venez demain. Sitôt après le déjeuner. Il n’y aura que grand-mère à la maison ; vous savez que la lecture, ça lui est bien égal… C’est promis ?

— C’est promis. Avec d’autant plus de plaisir que moi-même, le lendemain d’un bal… Et votre amoureux, à propos ?

— Mon amoureux ?

— Le jeune et brillant Lanturlut. Vous le bouleversez.