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qui avait une âme élevée, au point de comprendre les bêtes, ne resta pas insensible à tant de touchante confiance. Mais il lui caressa le front, et lui offrit une nèfle et un petit croûton.

Puis, s’adressant de nouveau à son fils, il lui demanda, avec la politesse vague de quelqu’un que la réplique ne saurait le moins du monde intéresser :

— Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? Qui as-tu vu ?

Jacques ne pouvait pourtant pas répondre, comme il en eût d’abord envie :

— J’ai rencontré une fée.

Estimant que ces sortes de relations deviennent plutôt inavouables, et rentrent mal dans les cadres de la famille et de la société, il se contenta de dire, en pliant sa serviette :

— Je suis sorti quelques instants pour me faire raser.

— Je t’avais pourtant offert un rasoir, autrefois.

— C’est exact, mais tu avais tellement taillé de crayons avec qu’aujourd’hui il est un peu émoussé et ne saurait servir les soirs de cérémonie. C’est pourquoi je me suis confié aux mains d’un coiffeur. En sortant de là, je me suis rappelé que Paulette m’avait donné une commission chez Palanquin et Panka, et j’allais entrer chez eux quand je me suis aperçu qu’il ne me restait que deux sous sur les cinquante centimes que j’avais empruntés à Eugénie.

— Comment ! tu empruntes de l’argent à Eugénie ?…

— Et… qu’est-ce que tu ferais, à ma place ?

— À ta place, je gagnerais honorablement ma vie, j’aiderais mon père dans ses travaux… Tu vis comme un inutile, comme un littérateur… et tu me coûtes les yeux de la tête… Cinquante centimes à Eugénie !… Et tu t’imagines que je vais les lui rendre ?…

— Je ne suis pas majeur.