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Ponctuelle, Eugénie, comme son maître achevait de parler, déposait un plat fumant sur la table de la salle à manger.

— Mais, qu’est-ce que tu as, mon fils ? On dirait que ta jaquette baîlle sur ton plastron… Ah ! Dieu me pardonne ! tu es en habit… Où diable t’es-tu procuré un habit ?

— L’oncle Adolphe…

— Comment ! l’oncle Adolphe t’a donné son sifflet ! Il te va très bien, sauf les manches que tu as trop longues, et les basques qui me semblent insuffisantes, et un pli très fâcheux aux entournures… Mais on ne peut pas tout avoir, surtout quand on n’achète pas sur mesure. La confection, ou même le retouchage d’un vêtement acquis par don gracieux ou échange, ne vaut jamais rien. Quand on a, comme dans notre famille, le buste long sur les jambes courtes, il n’y a que sur mesure que l’on puisse être bien habillé, rappelle-toi cette parole d’un homme qui… qui a toutes les peines du monde à trouver un tailleur à crédit… Mais, qu’est-ce que je mange ? Eugénie !

— Monsieur ?

— Que m’avez-vous mijoté là ?

— Monsieur, c’est un ragoût.

— Un ragoût ? Avec tout l’argent que je vous donne ! Est-ce que vous nous prenez pour des bestiaux, ma fille ?

— Mais, Monsieur, avec quatre francs par jour pour deux repas… et encore vous amenez parfois du monde.

— D’abord, Eugénie, vous n’avez rien à répondre quand je vous parle. Et puis, quand j’amène du monde, ou bien ce sont des amis, et alors ils mangent ce qu’ils trouvent, ou ce sont des gens que je ne connais point, et dans ce cas j’apporte toujours quelque chose : un pâté ou une douzaine d’huîtres… De toutes manières, votre objection me semble ridicule. Mon train de maison me coûte déjà