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Destin), et il me serait aussi désormais impossible de vous quitter qu’à vous de me fuir, si, après m’avoir vu vous regarder, vous étiez assez cruelle…

— Mais, dit la dame blonde, je suis une honnête femme, monsieur.

— Me prendriez-vous pour un filou, madame ? Grâce à Dieu, nous sommes d’honnêtes gens tous les deux. Mais, si vous le permettez, nous allons, de cet atrium traversé de courants d’air, monter au premier étage. Nous y marchanderons des jupons ; il y a une riche occasion d’indiennes dont nous pourrons très bien discuter longtemps les prix et les mérites divers. Je passerai pour votre parent… votre parent pauvre, rassurez-vous… L’ascenseur est à gauche… Je me nomme Jacques de Meillan, Madame, je suis jeune encore et de maison excellente : vous pouvez me connaître sans déchoir.


Ils étaient dans l’ascenseur. Méprisant et lointain, le garçon ne les regardait pas. Jacques reprit :

— D’ailleurs, qu’importe votre nom et le mien ? je vous aime… je vous aime d’une façon extraordinaire, révélatrice, ardente, folle, étrange. Vous vous croyez sans doute une dame blonde qui achetez dans des magasins des choses, mais vous vous trompez… Vous êtes une fée, la plus délicieuse, la plus paradoxale, la plus aimée des fées…

— Mais, monsieur… reprit la dame blonde, un peu amusée, mais inquiète toujours.

— Allons, madame, tenons-nous. On nous regarde. Qu’est-ce que ça vous fait d’avoir l’air de ma parente, de ma parente riche qui m’emmène avec elle courir les magasins, puisque vous savez que vous êtes une fée ? D’ailleurs c’est infiniment plus correct que d’être seule. Seule, on est toujours exposée à être abordée par un aventurier.