Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blesse ! À trois heures juste, je me réveillerai et à neuf heures, je serai prêt. Neuf heures ! trois heures ! je pourrais presque, chanter ça sur l’air de L’Ombre de Flotow, le triomphe de mon ami Renaud Jambe-d’Or : « Midi, minuit, le jour, la nuit… » Neuf heures ! trois heures ! Madame Morille ! la Havane !… non, ça ne va pas… Qu’il est bon de commencer à dormir !…

À trois heures exactement, le jeune homme se réveilla, s’habilla d’une façon sommaire, et appela sa bonne.

— Eugénie, lui dit-il, je sors, j’ai besoin de grand air, et aussi des soins d’un coiffeur. Vous veillerez à ce que rien ne me manque, afin que je sois prêt en quelques minutes, si, par aventure, j’étais en retard. Vous étendrez mon habit sur mon lit, vous brosserez mon chapeau, vous passerez mes escarpins au beurre et vous disposerez sur mon plastron la parure de perles pour que je n’ai pas à m’abîmer les doigts au dernier moment. Vous mettrez à ma portée ma cravate et mes gants que je vous ai prié de suspendre à une ficelle dans un courant d’air, pour les délivrer de cet insupportable relent de benzine dont un vrai gentlemen ne doit jamais incommoder ses pareils. Par la même occasion vous donnerez une feuille de salade à la tortue, qui n’a rien mangé depuis quatre mois, et cela sans lui faire quitter ma chambre, parce que, comme il m’est impossible d’obtenir de vous que vous mainteniez le vautour dans la cuisine, il la rencontrerait dans le corridor et l’attaquerait avec violence. Au revoir ! Donnez-moi cinquante centimes. À son retour de Constantinople, mon père vous indemnisera.

Dans, la rue, Jacques de Meillan constata qu’il faisait très beau, et comme il n’habitait pas loin de la Cannebière, il y descendit. La foule y était la même que tous les autres jours de l’année : marchands de cartes transpa-