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attendu. Alors il faudra lutter, et peut-être contre des souvenirs… Je ne m’en sens pas la force. Non, non, mille fois non ! je veux que l’aventure me tombe, toute pâmée, dans les bras… je ne la trouverai savoureuse qu’à ce prix.

Six femmes !… Peuh !… Est-ce que Madame Morille se moque de moi ?… j’ai envie d’écrire que je suis malade, que je regrette beaucoup. Un autre se consolerait en pensant aux six femmes brunes qui sont, parallèlement, disponibles. Mais, moi, justement, j’ai horreur des femmes brunes. Autant rejoindre tout de suite la Havane d’où arrive ce cigare, qui décidément est exquis… Oh ! quel cigare extraordinaire ! La jeune fille qui en roula les feuilles dut chanter, au moment de sa naissance, quelque habanera passionnée. Si mon ami Henri devait m’en apporter un pareil, ce soir, j’enverrais une lettre d’excuses à Madame Morille.

Oui, mais je suis sûr du contraire. Je sais que si je reste à la maison, je n’aurai pas de quoi composer une cigarette de caporal, tandis que si je sors, même si la Providence ne met pas sur mon chemin une de ces six femmes blondes, M. Morille ne sera pas assez rapace pour refuser à ses invités une pauvre boîte de londrès.

J’irai donc à ce bal, je ferai prendre l’air à mon habit… Ah ! comme j’ai envie de dormir !… cette délibération m’a épuisé, ce cigare étourdi… Au fond je crois que je ne suis pas fait pour la vie active. J’envie les fakirs et les ascètes hindous qui restent dix mille ans sans bouger, sans penser à rien. Heureux coquins ! Ils n’ont pas de parents, pas de bonnes, pas de frac à protéger des mites, pas de discussions littéraires, et ils laissent pousser leur barbe. Tandis que moi, tout à l’heure, je vais être obligé d’aller me faire raser. Oh ! supplice !

Allons ! allons ! du courage. Pas de grâce, pas de fai-