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venait parmi nous. Ne lui donne jamais de mou, parce que cet aliment, faisant éponge sur l’estomac, le ferait éclater sans le nourrir. Achète-lui du foie, de la rate et du déchet de côtelettes… Tu vois que je pense à tout ».


Jacques avait à peine terminé la troisième lecture de cette missive, cherchant à pénétrer le sens des passages les plus obscurs, qu’on sonna à la porte, avec une grande discrétion d’ailleurs. Ayant ouvert, il crut reconnaître de ces gens dont M. de Meillan disait qu’il fallait leur opposer la plus grande inertie. Le jeune homme les introduisit au salon, et le plus âgé des deux, en même temps qu’il en était le mieux vêtu, déclara s’appeler M. Espérandieu et s’être permis d’amener avec lui M. Léotard, son aide. Il venait de la part de M. Barboto, tailleur en chambre, pour une traite depuis si longtemps dans la circulation qu’elle en avait changé de nature et de forme et que maintenant elle n’était plus présentable que sous les espèces bleuâtres d’un exploit. Cet exploit prouvait péremptoirement que la somme primitive de dix-huit francs, représentant la valeur du gilet blanc livré à M. de Meillan par M. Barboto en 1889, s’était augmentée de toutes sortes de protêts, d’enregistrements, d’assignations, de contre-assignations, d’oppositions, de papiers timbrés, de courses, déplacements et frais divers, sans compter l’intérêt légal et composé, jusqu’à devenir cent-soixante-deux francs vingt-cinq, que M. Espérandieu, parlant d’ailleurs à son fils, priait M. de Meillan d’avoir à lui remettre sur l’heure, au risque d’une saisie de tous ses biens meubles et immeubles, avec un délai maximum d’un mois pour en faire opérer la levée.

Jacques comprit, et M. Cabillaud, qui s’était réveillé au bruit et habillé en toute hâte, comprit aussi, et d’un seul