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eût avec lui des rendez-vous successivement dans d’autres tripots, à un restaurant espagnol de la rue Audimar où l’on a droit à tous les plats pour treize sous, devant le comptoir d’un bar de la Joliette, sur le parvis de la Bourse, au milieu d’un cercle de tonneaux du quai de la Tourette sur une dalle des Pierres-Plates, dans la boutique d’un pauvre pharmacien de la place Pentagone qui avait inventé une spécialité abyssine contre le ver solitaire et vendait aux rémouleurs et aux fripiers les remèdes clandestins de M. Paillon, sous le porche de l’ancienne église de La Major, dans la salle commune d’un hôtel où venaient déjeûner et loger des nobles catalans et des maquignons, et dans une académie de billard.

Et jamais, jamais M. Gripenberg ne parut. Parfois un prête-nom, un émissaire aux ordres de ce puissant financier venait, à la place de son maître, dictait d’autres conditions, exigeait de nouvelles références, bouleversait les conventions les plus solidement établies. Ce fut pour Jacques l’occasion d’étendre encore le cercle de ses relations, et aussi la portée de ses connaissances ethnologiques, car il eût à traiter avec un marchand de bouchons du quartier Saint-Martin (à qui d’ailleurs il put écouler son vieux rasoir), d’origine italienne, avec un épicier espagnol, avec un comte autrichien, allié aux Esterhazy et qui faisait la commission pour la parfumerie, avec un orfèvre juif, et enfin avec un Arménien en jupes, actuellement tondeur de chiens, qui avait autrefois essayé, mais en vain, de délivrer le monde du sultan des Turcs. Jacques ne comprit jamais comment ce marchand de bouchons, cet épicier, ce commis-voyageur, cet orfèvre et ce tondeur de chiens connaissaient M. Gripenberg, ni pourquoi ils lui servaient de truchements. D’ailleurs eux-mêmes ne semblaient pas mieux renseignés là-dessus et du reste, de plus en plus las