Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Monsieur Cabillaud, ayant déjà lu tous les journaux du jour, s’apprêtait à en recommencer la lecture, quand Jacques, traînant jusqu’à la salle à manger son désœuvrement et sa tristesse, l’y rencontra, en le heurtant presque.

— Eh bien ? demanda M. Cabillaud.

— Eh bien ! rien ! je m’ennuie, répondit Jacques.

— Veux-tu faire une partie d’échecs ?

— Une douzaine, si vous voulez.

— Commençons.

Et Jacques, ayant été chercher la boîte, installa les figures de buis sur un guéridon dont la marqueterie au centre figurait les soixante-quatre cases d’un échiquier. Ils jouèrent. M. Cabillaud avança prudemment la ligne entière de ses pions, afin de dégager celle des pièces importantes et, remarquant que son adversaire, indécis, dirigeait au hasard sa partie, laissant traîner sans protection les cavaliers aux yeux de têtes d’épingles et avançant d’une manière absurde la reine audacieuse, il crut devoir observer :

— Ça ne va pas, aujourd’hui… Si je voulais faire le gambit de la dame, j’arriverais à l’échec en quatre coups.

— Faites le gambit de la dame, ça m’est égal.

— Comment ? toi, un vieux routier, ça te serait égal de te laisser faire mat avec deux pièces prises seulement ! Tu as quelque chose.

— Non, au contraire, je n’ai rien… Mais là ! ce qui s’appelle rien… À propos, croyez-vous que mon père puisse me donner trois mille francs dans quinze jours ?

— Trois mille francs dans quinze jours ! es-tu fou ?

— Il me les a promis sur la mine d’alcool.

— Ah ! mon Dieu ! la mine ! Plutôt que d’admettre la mine d’alcool de ton père, je préférerais, vois-tu, douter de l’existence du Caucase…