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canique et s’assit mélancoliquement sur l’appareil, afin de comprimer davantage le papier.

— Non, je ne suis pas fou, reprit Jacques, j’ai besoin de cinq louis et ce n’est pas étonnant. À mon âge, mes camarades dépensent autrement d’argent. C’est même ridicule et gênant que tu me forces, après de longues patiences, à te les demander… Tu as des frais et des charges que je ne discute pas, des prêts à des amis et de notes de café qui s’élèvent à des sommes très importantes : mais tu ne songerais jamais à me faire passer avant tout cela, et simplement parce que je ne réclame jamais rien, que je vis retiré dans ma chambre avec une tortue qui mange une demi-salade par an. Ce n’est pas très chic, tu devrais le comprendre.

— Mon cher enfant, tu t’égares, tu ne sais plus ce que tu dis. Voilà maintenant que tu te mets à passer en revue les faits et gestes de ton père, tu épluches son budget, tu lui reproches les misérables roues de charrette qu’il offre à quelques amis crève-la-faim, tu te mêles en un mot de ce qui ne te regarde pas, toi qui es d’habitude si discret, si bien élevé, si homme du monde ! Ma parole, je ne te reconnais plus… Je te pardonne cependant, d’abord parce que tu es mon fils, ensuite parce que tu es démoralisé par ta précoce rancune envers l’existence, l’existence qui pourtant ne t’a réservé jusqu’ici que le miel et le sucre, tandis que moi, ton pauvre père, j’en dévore tout le fiel. Ah ! la Providence me prépare une vieillesse bien triste, entre l’ingratitude et la révolte de tous les miens… Du reste, mes petits amis, il ne faudrait pas croire que vous aurez raison de moi par des moyens pareils… Quand je sentirai que je deviens à charge à tout le monde, je disparaîtrai sans laisser d’adresse.

— Bref, tu me refuses cent francs ?…

— Avoir, jour et nuit, tourné la meule comme un che-