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de lettres en province, son cabinet de toilette forcé, ses rasoirs servant à scier du bois, tout un spectacle de désolation et d’épouvante.

Hélas ! quelle que fût sa prestesse, il arrivait trop tard. Quand il ouvrit la porte, il fut accueilli par de joyeuses clameurs, mais personne ne se dérangea pour quitter son occupation du moment.

Maxence Eucrate, l’érudit, s’efforçait avec le rasoir-souvenir-de-famille d’encocher la bibliothèque à la hauteur de son crâne afin, disait-il, de mesurer dans quelques mois les progrès rapides de sa croissance. Olivier Laurent, le peintre, ayant à l’aide d’une pin cette ramené Jeannette de dessous le lit, l’avait posée sur le dos, et lui imprimant parfois de légères secousses, étudiait sur sa modeste personne les insondables mystères de la rotation qui entraîne les mondes à travers le chaos. Ludovic d’Hernani, le romancier, ayant tordu d’une main ferme et réduit au minimum le format d’un volume de luxe, en déclamait les plus beaux passages, tandis qu’un à un, tombaient de la plus haute planche de la bibliothèque violée des livres et toujours des livres, s’amoncelant avec lenteur devant Norbert Esmont, le poète, qui, couché à plat-ventre sur le tapis arrachait, à chaque césure, une petite touffe de sa laine.

Jacques de Meillan ne s’emporta point en cris inutiles. Il se contenta d’offrir à Eucrate un canif à manche de nacre en remplacement du rasoir et un petit lapin de nickel vomissant un centimètre de coton bleu, afin qu’il prît l’exacte mesure de la distance séparant le plancher de l’encoche indicatrice. Il délivra délicatement la tortue, haletante et les yeux tournoyants d’effroi, lui caressa doucement la tête pour la consoler et l’introduisit dans un tiroir dont il garda la clef. Il remit patiemment les livres