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humaine… Mais, comme il finissait, la pendule réelle sonna trois heures à leurs oreilles vraies ; et la jeune fille, arrachée du sommet d’un rêve sublime par une invisible et féroce main, tomba, tomba de si haut qu’elle eût un instant de folie.

Elle étouffa le cri d’une douleur aiguë. À cette heure, au moment où ressuscitait la magie d’un poète dont tout le sang du cœur avait coulé pour que des hommes, plus tard, en eussent une révélation de beauté, sa mère à elle, sa mère, à quelques maisons de là, caressait le jeune amant qu’elle s’était la veille choisi. Elle y prenait du plaisir, elle s’amusait. Et peut-être tenait-elle maintenant, sur ses genoux flétris de femme mûre, nus sous une robe impudique, la tête blonde, légère et jolie du petit viveur frivole… ah ! du même geste dont elle, Juliette, accueillait, naïve et distraite, la tête, blonde aussi, de son neurasthénique et chaste ami !… Tiens !…

Et en un sursaut de colère, elle avait pris entre ses deux mains la tête de Jacques et l’avait jetée loin d’elle.

Jacques, interloqué et étourdi, se redressa comme il put et contempla, avec un indicible étonnement, la jeune fille qui le regardait, confuse, hagarde, inconsciente.

— Pardonnez-moi, dit-elle enfin, je suis folle… Je ne sais pas ce que je fais.

— Vous souffrez ?…

— Ah ! taisez-vous, je ne souffre pas… Personne au monde ne peut savoir… j’ai des mélancolies absurdes qui se résolvent en crises violentes. Ne m’en veuillez point, n’est-ce pas, ami Jacques.

— Moi ? vous en vouloir ! s’indigna t-il, voulant lui prendre les mains, lui dire quelque chose de vraiment fraternel.

Mais elle était toute tendue dans sa volonté de ne rien