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cause des bains obligatoires quotidiens du vagrant-ward, se cramponnant, s’attachant à ses membres, le travaillant.

Brisé par sa précédente lutte, annihilé sous ces efforts réunis, le gardien, dont le cerveau restait seul libre, appelait à son aide, comme une évocation antidiabolique, l’image de son épouse la digne mistress Pinch, vertu farouche et sévère, et celles de ses filles, les petites misses Pinch, agneaux effarouchés, et fou d’indignation et de honte, il criait :

— Coquines ! gibier de prison ! Traiter ainsi un officier de la paroisse ! un fonctionnaire appointé et nommé dûment par les honorables vestrymen ! Un père de famille ! shocking !

Mais elles riaient, ces rouleuses de routes ou plutôt elles ne l’écoutaient pas, ces chenilles de buissons, elles poursuivaient leur œuvre, ces punaises de fossés, le mordaient, ces puces buveuses de sang, le dévoraient lentement, ces louves affamées de chairs de mâles, et il sentait sa raison s’égarer, ses forces faiblir, j’entends ses forces morales de gardien vertueux !

— Au secours ! au secours !

— Attends, attends, on vient à la rescousse.

C’est alors qu’une luronne de dix-huit à vingt ans armée en guerre de seins de nourrice picarde et d’une croupe de cavale normande, arriva comme Blucher à Waterloo pour le coup décisif.

Elle s’étendit sur lui, fermant de sa main sa bouche :

— Eh ! mon petit canard ; gardien de mon cœur ; tu cries comme une truie qu’on saigne. Paix ! Paix ! nous ne te voulons pas du mal, au contraire, mon mignon. Entends-tu, là-bas à la chapelle, les voix des pauvresses ? Elles chantent tes noces avec les filles du grand chemin. Et nous ne sommes pas trop déchirées aux épines des buissons. Si nos loques sont noires et sales et la peau de nos faces brunie, le corps vaut celui des ladies ; regarde…

Elle le pressait la femelle, s’agitait et bientôt une clameur sortie de vingt bouches annonça la défaite du mâle.

Et lorsque furieux et honteux il eut rajusté le désordre de sa mise, se conformant à la règle écrite en tout endroit réservé aux hommes par la décente municipalité : « Please adjust your dress before leaving » les femmes lui crièrent en riant : « Maintenant, va te plaindre ! »

Et c’est pourquoi le lendemain après la tâche, tramps et trampesses s’en allèrent paisiblement chacun de leur côté, et le promeneur étonné put entendre leurs éclats de rire le long des fossés ou des haies du chemin.

C’est là que je recueillis cette histoire, dans les bruyères de Shooters-Hill, car ni dans les overseers, ni les vestrymen ni les guardians des pauvres, ni le master du workhouse, ni la police de Croydon, ni les officiers de l’Union, n’ont jamais rien su de la révolte des tramps.