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J’ai fait un pas de plus, et le monde est changé.

Ô comment parcourir cette scène infinie ?
Écoutez, écoutez l’effrayante harmonie
De ces torrens, grondans dans le creux des vallons ;
Et les mugissemens des bruyans aquilons.
Voyez ces pins altiers, dont les ruisseaux limpides
Retracent dans leurs flots les vertes pyramides.
Osez vous enfoncer dans ces vastes forêts,
Dans ces grottes sans fonds, antres sourds et secrets,
Dont jamais le soleil n’éclaira les mystères.[1]
Essayez de gravir sur ces rocs solitaires,
Minés par les torrens, des feux du ciel frappés,
À ces feux, aux torrens, aux siècles échappés.

Aigle fier et sanglant, ministre du tonnerre,
C’est ici ta patrie, et je foule ton aire.
La foudre que tu tiens fait mugir, à mes piés,
Le fracas des échos cent fois multipliés.

Admirez avec moi, sur ces roches pressées,
Le reflet éclatant des neiges condensées.
Jamais l’astre du jour, échauffant nos climats,
N’a, du haut de ces monts, détaché les frimats.
Leur cime, toutefois, teinte de sa lumière,
Des clartés du matin s’embellit la première ;
Et dans sa flamme encor leur sommet est noyé,
Quand le voile des nuits est partout déployé.

Ô soleil ! sur les monts, et le guèbre et le mage,
Du grand tout, nommé Dieu, virent en toi l’image.
Sous les noms de Mitras, et d’Hercule, et d’Hermès,

  1. On peut voir sur-tout la glacière de Gérardmer, quoiqu’il faille diminuer beaucoup du merveilleux qu’on lui prêtait.