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Chez nous, chaque buisson pourrait dire au passant :
Ces sillons ont moins bu de sueurs que de sang.
Par quel enchaînement de luttes, de souffrance,
Nos aïeux ont conquis ce sol vierge à la France,
En y fondant son culte immortel désormais,
La France même, hélas ! ne le saura jamais !

Quels jours ensanglantés ! quelle époque tragique !
Ah ! ce furent les fils d’une race énergique
Que les premiers colons de ce pays naissant.
Ils vivaient sous le coup d’un qui-vive incessant :
Toujours quelque surprise, embûche, assaut, batailles !
Quelque ennemi farouche émergeant des broussailles !
Habitants égorgés, villages aux abois,
Prisonniers tout sanglants entraînés dans les bois !…

Les femmes, les enfants veillaient à tour de rôle,
Tandis que le mari, le fusil sur l’épaule,
Au pas ferme et nerveux de son cheval normand,
Semeur de l’avenir, enfonçait hardiment