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UN MURILLO

La scène entière se transforma aussi par degrés.

Il voyait cette jeune fille élevée dans l’opulence, et réduite à un travail ardu pour vivre, recueillir chez elle une pauvre femme aveugle et sans appui, se faire son ange gardien, sa fille, sa garde-malade.

Bien plus encore, il la voyait sacrifier à vil prix une relique de famille, un souvenir sacré, un chef-d’œuvre choyé, vénéré, prié, pour secourir cette pauvre infirme, une étrangère pour elle, mais qui était sa mère, à lui !

Car, il n’en doutait pas, cet Enfant-Jésus à la copie duquel le curé avait trouvé des airs de déjà vu, ce tableau qui était tombé entre ses mains d’une façon si bizarre, ce Murillo qui l’avait enrichi, ce ne pouvait être que la vieille toile vendue en secret à un passant pour sauver sa mère…

Et cette voix qui lui remuait si profondément toutes les fibres du cœur, n’était-ce pas celle de la jeune fille, de cette bienfaitrice obscure — celle de Suzanne ?

Et ce nom à moitié prononcé vint expirer sur ses lèvres, comme la plus radieuse en même temps que la plus troublante des musiques…

La communion approchait.

Quelques lambeaux d’accords flottèrent encore un instant sous la profondeur sonore des voûtes.

Puis Maurice Flavigny vit passer à sa gauche, se dirigeant vers la table sainte, une grande jeune fille toute blonde, élégante et distinguée, modestement vêtue de noir, et dont la vue le fit tressaillir.

La jeune fille s’agenouilla, reçut la communion, puis vint se prosterner dévotement devant la crèche de l’Enfant-Jésus.