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UN MURILLO

— Quel Enfant-Jésus ? demanda le jeune peintre, qui n’avait pas vu les signes multipliés que, depuis un instant, lui faisait la petite bonne en train de dresser le couvert.

— Mais l’Enfant-Jésus de Suzanne, qui est là sur le mur, la vieille peinture qu’elle aimait tant.

— Je ne sais ce que vous voulez dire, fit Maurice.

— Comment, tu ne vois pas de tableau sur ce mur !

— Mais non, fit le jeune homme en regardant sa mère avec une surprise inquiète.

— L’Enfant-Jésus n’est plus là !… L’Enfant-Jésus est parti !… Ah ! mon Dieu, j’ai peur de comprendre.

Et la pauvre femme s’affaissa sur une chaise en s’écriant :

— Maurice ! Maurice ! jamais nous ne pourrons nous acquitter.

La petite bonne, que Maurice interrogea, après quelques instants d’hésitation, expliqua tout.

Pendant la dernière maladie de Mme Flavigny, Suzanne, à bout de ressources et ne sachant où prendre de l’argent pour acheter les médicaments ordonnés par le médecin d’une paroisse voisine — il n’y en avait pas dans le moment à Contrecœur — avait vendu son vieux tableau à un étranger, un passant entré chez elle par hasard. Elle en avait reçu un bon prix, par exemple : cinq piastres comptant ! Ce qui ne l’avait pas empêché, disait la petite, d’avoir les yeux rouges en s’en séparant, et en recommandant de ne rien dire de tout cela à personne — surtout à Mme Flavigny, qui, n’y voyant point, s’imaginait que l’Enfant-Jésus était toujours à sa place.