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LES CHOSES QUI S’EN VONT

Chers cultivateurs de par chez nous, laissez votre dernier fléau jouqué sur la poutre de la batterie. Il tient si peu de place ! Laissez-le où vous avez l’habitude de le revoir, en souvenir de ceux qui vous le léguèrent et qui, pour l’avoir tant manié, lui ont laissé un peu de leur douceur. Elles se reposent maintenant dans la tombe, les chères vieilles mains laborieuses qui ont édifié l’édifice de votre bonheur, de votre aisance peut-être ; la vue du vieux fléau vous les rappellera. « Se souvenir, c’est toujours aimer », dit-on ; mais pour se souvenir, il faut regarder en dedans de nous-mêmes, et n’est-ce pas souvent une délicieuse manière de voir plus beau ? Que de belles choses l’on voit, en effet, les paupières closes ! Vous verrez certainement plus beau, parce que le souvenir des anciens vous rendra meilleur, car dit le poète :

«… aucun homme n’est bon,
Que grâce aux souvenirs de son enfance aimée,
Dont son âme demeure à jamais embaumée. »