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RÉPONSE DE LAMARTINE.

Si nous n’adoptons pas ta liberté farouche
Sur l’autel d’airain que tu sers ?

Détrompe-toi, poète, et permets-nous d’être hommes !
Nos mères nous ont fait tous du même limon ;
La terre qui vous porte est la terre où nous sommes,
Les fibres de nos cœurs vibrent au même son !
Patrie et liberté, gloire, vertu, courage,
Quel pacte de ces biens m’a donc déshérité ?
Quel jour ai-je vendu ma part de l’héritage,
Aux élus de la liberté ?

Va ! n’attends pas de moi que je la sacrifie
Ni devant les dédains, ni devant le trépas.
Ton Dieu n’est pas le mien, et je m’en glorifie,
J’en adore un plus haut, que tu ne comprends pas !
La liberté que j’aime est née avec notre âme,
Le jour où le plus juste a bravé le plus fort,
Le jour où Jéhova dit au fils de la femme :
 « Choisis des fers ou de la mort ! »

Que ces tyrans divers dont la vertu se joue,
Selon l’heure et les lieux, s’appellent peuple ou roi,
Déshonorent la pourpre, ou salissent la boue,
La honte qui les flatte est la même pour moi !
Qu’importe sous quels pieds se courbe un front d’esclave ?
Le joug d’or ou de fer n’en est pas moins honteux !
Des rois tu l’affrontas, des tribuns je le brave !
Qui fut plus libre de nous deux ?

Fais-nous ton Dieu plus beau si tu veux qu’on l’adore ;
Ouvre un plus large seuil à ses cultes divers !
Chasse de son parvis, que leur pied déshonore,
La Vengeance et la Mort, gardienne des Enfers :
Écarte Némésis de l’autel populaire,
Pour que le suppliant n’y soit pas insulté ;