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entraîne à des analyses ordinairement heureuses, parfois hasardeuses ; en même temps que le goût de l’analyse, une faculté de synthèse et de systématisation à laquelle se reconnaît le vrai philosophe : voilà les qualités bien connues de M. Tarde, dont ce nouvel ouvrage nous fournit une preuve éclatante.


Une autre question, à laquelle les études récentes de sociologie apporteront de la lumière, c’est celle du progrès social. Autrefois, la société humaine s’était proposé un idéal fixe, sans concevoir de progrès. À partir du xviie siècle et surtout au xviiie, on se proposa un idéal infini, on rêva un progrès illimité. L’école de Saint-Simon et de Comte, mettant à profit les conceptions nouvelles des sciences biologiques, comprit que les lois de la vie et du progrès étaient subordonnées à la structure même des sociétés et que celle-ci ne varie pas sans limites ni au gré des volontés. Comme Kant, Auguste Comte admet la loi de continuité. « Il faut, dit-il, concevoir chacun des états sociaux consécutifs comme le résultat nécessaire du précédent et le moteur indispensable du suivant. » Comte a le mérite d’avoir vu que les développements spéciaux de l’activité humaine ne sont pas des époques successives de l’histoire, et que l’évolution sociale est, selon ses propres termes, un mouvement général collectif, résultant de la corrélation entre les mouvements particuliers qui la constituent. Reste à savoir quel est, dans le mouvement social, l’élément dominateur. On sait que Comte l’a cherché dans l’intelligence ; il a conçu l’histoire de la société comme réglée par l’histoire de l’entendement humain. De là d’importantes discussions, que nous voyons se prolonger de nos jours. Selon l’école sociologique qui attribue aux éléments objectifs l’influence prépondérante, pour ne pas dire unique, la vie intellectuelle et consciente n’a pas l’importance que Comte suppose : la principale influence appartient à la vie organique et inconsciente, résultant elle-même des acquisitions séculaires les plus lointaines, fixées et intégrées dans les institutions, les coutumes, les lois, l’état économique, etc. Dans les sociétés comme dans les individus, les centres supérieurs de l’organisme, ceux de l’encéphale, ont pour fonction de coordonner la vie consciente, celle qui n’est pas encore incorporée à la vie automatique ou qui ne le sera jamais[1] ; Comte revenait, sans s’en douter, à la

  1. De Greef, Transformisme social, p. 224.