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Quand nous aurons trouvé que les anciens ont atteint sur quelque chose le point de la perfection, contentons-nous de dire qu’ils ne peuvent être surpassés, mais ne disons pas qu’ils ne peuvent être égalés, manière de parler très familière à leurs admirateurs. Pourquoi ne les égalerions-nous pas? En qualité d’hommes nous avons toujours droit d’y prétendre. N’est-il pas plaisant qu’il soit besoin de nous relever le courage sur ce point-là, et que nous qui avons souvent une vanité si mal entendue, nous ayons aussi quelquefois une humilité qui ne l’est pas moins? Il est donc bien déterminé qu’aucune sorte de ridicule ne nous manquera.

Sans doute la nature se souvient bien encore comment elle forma la tête de Cicéron et de Tite-Live. Elle produit dans tous les siècles des hommes propres à être de grands hommes, mais les siècles ne leur permettent pas toujours d’exercer leurs talents. Des inondations de barbares, des gouvernements ou absolument contraires, ou peu favorables aux sciences et aux arts, des préjugés et des fantaisies qui peuvent prendre une infinité de formes différentes, tel qu’est à la Chine le respect des cadavres, qui enseigne qu’on ne fasse aucune anatomie, des guerres universelles, établissent souvent, et pour longtemps, l’ignorance et le mauvais goût. Joignez à cela toutes les diverses dispositions des fortunes particulières, et vous verrez combien la nature sème en vain de Cicéron et de Virgile dans le monde, et combien il doit être rare qu’il y en ait quelques-uns, pour ainsi dire, qui viennent à bien. On dit que le ciel en faisant naître de grands rois, fait naître aussi de grands poètes pour les chanter, d’excellents