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ŒUVRES DE FONTANES.

Bientôt se nourrissant de la chair des victimes,
Le prêtre s’est armé du glaive des bourreaux,
Et, las de se baigner dans le sang des taureaux,
Rougit de sang humain ses idoles sinistres.
Dieu même est le jouet de ses propres ministres ;
Dieu n’est plus, dans la main de l’homme ambitieux,
Qu’un levier tout-puissant appuyé dans les cieux,
Qu’un instrument sacré de vengeance et de haine,
Qu’on retient à son choix, qu’à son choix on déchaîne.

 Ainsi donnant l’essor à son orgueil pervers,
L’amour-propre en tyran gouverne l’univers ;
Mais de tous les mortels puisqu’il est le partage,
Il doit céder au frein pour son propre avantage.
De l’objet qui t’est cher, d’autres sont-ils jaloux ?
Que peut ta volonté contre celle de tous ?
L’ordre nait du besoin : l’audace ou l’artifice
Raviraient tous nos biens, si la loi protectrice
Ne veillait quand tu dors, et, sous son bouclier,
Ne protégeait ton lit, tes dieux et ton foyer.
La sage liberté restreint l’indépendance :
Les rois même aux vertus s’instruisent par prudence ;
Et l’amour-propre enfin, redressant son erreur,
Dans le bonheur d’autrui sait trouver le bonheur.

 Ce fut alors qu’un sage, un héros, un poëte,
Des lois de la nature immortel interprète,
Le disciple des Dieux ou l’ami des mortels,
De l’antique vertu rétablit les autels.