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ESSAI SUR L’HOMME.

Tous ont un droit égal aux soins de la nature.
L’ours grossier du monarque a porté la fourrure.
L’homme dit : Je commande et tout sert sois ma loi ;
L’oison dit à son tour : « L’homme est formé pour moi.
« Dès que l’aube renaît, cet esclave superbe
« Prodigue à mes besoins les trésors de la gerbe ;
« Il m’engraisse, il me sert. » Mais l’oison abusé
Ne voit pas le couteau par ta faim aiguisé.
Es-tu moins fou que lui, quand ton orgueil extrême
Veut du monde à toi seul rapporter le système ?

 Que dis-je ? aux animaux si tu donnas des fers,
Si ton intelligence a conquis l’univers,
La nature, à son tour, soumet ta tyrannie,
Et tu sers les vassaux qu’enchaîna ton génie.
Voyons-nous la colombe au plumage argenté
Du milan ravisseur fléchir la cruauté,
L’insecte aux ailes d’or émouvoir l’hirondelle,
Et l’autour attendri respecter Philomèle ?
L’homme veille sur tous ; il leur donne des soins
Pour son faste orgueilleux plus que pour ses besoins ;
Aux oiseaux voyageurs il offre ses bocages,
Aux poissons ses viviers, aux brebis ses herbages ;
Et, les réunissant à de riches banquets,
Par son luxe royal il nourrit ses sujets.
Sa-faim voluptueuse à la brute sauvage
Ravit les animaux sans force et sans courage :
Parasites nombreux jusqu’à leur dernier jour.
Ils partagent en paix les trésors de sa cour ;
Sans prévoir le trépas, chacun d’eux est paisible,