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DU GÉNIE DU CHRISTIANISME.

Il y a dans ces remarques, si je ne me trompe, un mélange d’imagination, de sentiment et de finesse, qu’il est bien rare de trouver dans les poétiques les plus vantées. Les vues critiques de l’auteur, dans d’autres chapitres encore, me paraissent avoir les plus féconds résultats et la plus piquante nouveauté. Il prouve très bien que le christianisme, en perfectionnant les idées morales, fournit à la poésie moderne une espèce de beau idéal que ne pouvaient connaître les anciens. Je crois qu’à beaucoup d’égards son opinion est fondée. Racine avoue lui-même qu’il n’aurait pu faire supporter son Andromaque, si, comme dans Euripide, elle eût tremblé pour Molossus et non pour Astyanax, pour le fils de Pyrrhus, et non pour celui d’Hector. On ne croit point, dit-il très bien, qu’elle doive aimer un autre mari que le premier[1]. Virgile l’avait déjà senti confusément, et, dans le troisième livre de l’Énéide, il cherche à sauver autant qu’il peut l’honneur d’Andromaque. Elle rougit et baisse les yeux devant Énée, qui débarque en Épire :

Dejecit vultum, et demissá voce locuta est, etc.


Puis, d’une voix embarrassée, elle raconte que le fils d’Achille, en la quittant pour Hermione, l’a fait épouser au troyen Hélénus :

Me famulam, famuloque Heleno transmisit habendam, etc.

Mais, en dépit de cette rougeur et de cet embarras

  1. Voyez la préface d’Andromnque.