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honore le meilleur du xviiie siècle, et qu’il est sûrement le plus noble de cette trilogie prophétique ; comment ne pas commenter beaucoup des Maximes du jeune officier Marc-Aurélien par l’apostrophe aux « Voluptés » dans l’élite des Stances et Poèmes ?

Ô voluptés, salut ! Une longue injustice
Vous accuse d’emplir les Enfers de damnés,
Fait sonner votre nom comme le nom du vice,
Et ne l’inscrit jamais que sur des fronts fanés.
Et nous vous bénissons, reines des jeunes hommes !
Si nous rêvons un ciel, c’est en vous embrassant,
Car vous nous laissez purs, ennoblis que nous sommes
Par la complicité du cœur avec le sang !

Qu’on y prenne garde, cette formule morale et sa conception de l’amour, douloureuse, vraie, libre sans désordre, ne rejoignent pas le romantisme : l’admirable poésie lyrique des xiie-xiiie siècles, suscitée par la civilisation méridionale, exalta déjà la suprématie de la passion pour l’intensité et la richesse de vie qu’elle provoque. Quand, à l’opposé, les héros romantiques exigent surtout de l’amour l’inattingible et brève fusion de deux êtres, on doit dénoncer cet inassouvissement comme un masque de l’orgueil : c’est là chute d’une personnalité dans une autre, c’est là hypertrophie d’un moi qui s’estimant unique veut assimiler le monde indéfini à son égoïsme ! Cette