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mon sillon.

C’est que personne ici ne marche à son pas, tout le monde court. Mais pour courir, il ne faut pas que l’haleine manque. Et elle manque à beaucoup, hélas ! Le mouvement, le bruit, l’agitation réveillent en eux la vie, les galvanisent, mais que cette vie factice est douloureuse ! Que d’hommes hâves, aux yeux sombres, à la barbe sale, au paletot troué ! Que de femmes aux traits flétris, au regard ardent, à la robe souillée ! Hier j’ai fait deux rencontres qui m’ont donné beaucoup à penser. Une jeune fille sale, déguenillée, s’était arrêtée devant un mur chargé d’affiches ; elle avait ramassé quelque part un chiffon de papier et elle comparait les lettres qui s’y trouvaient avec celles de l’affiche. Pauvre ! pauvre jeune fille, elle était sans doute allée au théâtre, elle avait pris la fièvre parisienne et elle désirait ardemment apprendre ce mystérieux langage imprimé qui frappait partout ses yeux.

L’autre était moins jeune. Elle se glissait tête nue et grelottante le long des murs humides, se parlant tout haut, gesticulant avec force. Hélas ! cette pauvre imagination battait la campagne, échauffée par cette vie parisienne qui allume des convoitises de tout genre chez les plus déshéri-