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Paul.

Oui, oui !… Pardon pour ce que je vous ai fait.

Montrant le cœur.

Prenez-le ! C’est la paix de la conscience, le pouvoir du bien, l’intelligence de tout ce qui est beau ; le moyen de comprendre à la fois l’humanité, la nature et Dieu !

Letourneux sourit ironiquement, sans bouger.

Mais qui êtes-vous donc, pour rester insensible dans l’allégresse de tous ? Dans quelle pierre êtes-vous taillé ? Vous n’avez donc jamais aimé quelque chose, quelqu’un ? Vous n’avez donc rêvé jamais au bonheur de la posséder, au désespoir de le perdre ? Ah ! s’il ne fallait, pour vous convaincre, que verser mon sang, retourner à l’autre bout du monde, vous servir en esclave ! Un peu de pitié ! grâce ! attendrissez-vous !… Prenez-le !

Letourneux.

Merci, ça gêne trop !

Paul.

Adieu, Jeanne !… Oh ! je suis maudit !… Je t’ai perdue !…

Le petit mur de la terrasse s’est levé, et l’escalier, devenu d’argent, a grandi. De chacun des vases de fleurs posés sur les marches est sortie une femme. Elles étendent leurs bras sur les épaules les unes des autres, de sorte que l’escalier semble avoir pour rampe une longue file de femmes vêtues de perles. On distingue en haut, enveloppée dans les nuages et sous les teintes laiteuses d’un clair de lune, la base du palais des Fées, couleur de nacre. Jeanne est en avant, sur la plate-forme, au sommet de l’escalier. — Paul, en se retournant pour suivre du regard Letourneux qui s’éloigne, l’aperçoit, s’écrie :

Jeanne !…

et escalade, en courant l’escalier. — Pendant qu’il monte, son habillement disparaît pour un costume d’apothéose, tout en blanc, long manteau. Chaque marche, à mesure qu’il monte, exhale un son d’harmonica : succession de toutes les notes de la gamme. — Au moment