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créés pour nous être utiles. Mais, que si vous devenez sédentaires et zélés à nous servir, on vous laissera au fond de l’assiette quelques gouttes froides du pot-au-feu !

Et toi, Soleil, puisses-tu, brillant toujours modérément, te transformer en un vaste paquet de chandelles, pour nous économiser l’éclairage ! et que tes rayons fassent tomber dans le creux des mers une pluie de graisse, afin que, se chauffant à la tiédeur, tout le globe entier ne soit plus qu’un immense pot-au-feu !

Tous crient.

Vive le pot-au-feu !

En retirant leurs chapeaux, ce qui laisse voir distinctement leurs crânes étroits et très allongés, en forme de pain de sucre.

Les femmes, aux fenêtres.

Comme nos maris sont bien !

Les autres corporations qui n’ont pas été nommées s’empressent autour du pot-au-feu, et le grand pontife, décrivant mystiquement un cercle dans l’air, les asperge tous avec son écumoire. Après quoi, la séance étant levée, on retire les sièges, on se cherche et l’on s’aborde avec une certaine animation.

Les bourgeois.

Ah ! une belle fête ! un remarquable discours ! Et quelle musique ! On a fait des progrès dans les arts ! C’est incontestable !…

La confusion et la rumeur peu à peu s’apaisent, et tous se mettent à observer les horloges qui sont au-dessus de la porte, devant chaque maison. L’aiguille marque cinq heures cinquante-cinq minutes. Ils attendent le nez en l’air, et quand six heures sonnent, ils disent tous en même temps :

Allons dîner !

Ils entrent dans les maisons.