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Pot-au-feu, emblème des intérêts matériels, autrement dit des plus chers ! si bien que, grâce à vous, le voilà maintenant presque une divinité !… C’est à moi, le grand pontife de ce culte sage, qu’il incombe de vous remémorer vos devoirs et de vous relier tous, par un acte commun, à la vénération, à l’amour, à la frénésie du Pot-au-feu !

Vos devoirs, ô Bourgeois, nul d’entre vous, je le déclare, n’y a transgressé ! Vous vous êtes tenus philosophiquement dans vos maisons, ne pensant qu’à vos affaires, à vous-mêmes seulement ; et vous vous êtes bien gardés de lever jamais les yeux vers les étoiles, sachant que c’est le moyen de tomber dans les puits. Continuez votre petit bonhomme de chemin, qui vous mènera au repos, à la richesse et à la considération ! Ne manquez point de haïr ce qui est exorbitant ou héroïque, — pas d’enthousiasme surtout ! — et ne changez rien à quoi que ce soit, ni à vos idées, ni à vos redingotes ; car le bonheur particulier, comme le public, ne se trouve que dans la tempérance de l’esprit, l’immutabilité des usages et le glouglou du Pot-au-feu.

Accordéons.

À vous d’abord, colonnes de la patrie, exemples du commerce, base de la moralité, protecteurs des arts, Épiciers !

Les épiciers se lèvent.

Jurez-vous de toujours mettre de la chicorée dans le café ?

Les épiciers, en chœur.

Oui !

Le grand pontife.

Et de ne pas quitter le comptoir, sauf, bien entendu, pour venir sur votre seuil indiquer aux badauds