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CINQUIÈME TABLEAU.

L’ÎLE DE LA TOILETTE.

Les collines du fond, figurant des carrés de culture différente, sont couvertes par de longues bandes d’étoffes. À droite, au bord d’un ruisseau de lait d’amandes, poussent, comme des roseaux, des bâtons de cosmétique. Un peu plus en avant, une fontaine d’eau de Cologne sort d’un gros rocher de fard rouge. Au milieu, sur le gazon, des paillettes brillent ; les buissons, çà et là, se trouvent représentés par des brosses de chiendent, et les cailloux par des savons de toutes couleurs. À gauche, un arbre, semblable à un tamaris, porte des marabouts, et un autre, pareil à un palmier, offre des éventails. Il y a un champ de rasoirs ; plus loin, l’arbre à miroirs, l’arbre à perruques, l’arbre à houppes, l’arbre à peignes, et des costumes bariolés pendent à de grands champignons. Des mouches voltigeant dans l’air iront se coller d’elles-mêmes sur le visage des femmes : la mouche assassine, la capricieuse, la provocante, etc.


Scène première.

JEANNE, seule.

Dans la même attitude qu’elle avait à la fin du tableau précédent : la tête baissée et le coude gauche appuyé contre le rocher de fard, au bord de la fontaine. Après un instant de silence, elle lève les yeux et regarde autour d’elle avec ébahissement.

Comme c’est joli !… et comme ça sent bon !… Mais on dirait l’odeur de l’eau de Cologne ?… D’où vient-elle ? De cette fontaine !… Ah ! si je me lavais les mains.

Elle y plonge ses bras jusqu’au coude.

On n’a pas peur d’en perdre !… Je puis bien m’en mettre dans les cheveux !

Elle s’en jette sur la tête quelques gouttes, qui deviennent aussitôt des diamants, sans qu’elle s’en aperçoive. Puis elle se lave le visage avec