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L’inconnu.

À votre aise ! Faites le vertueux, mon gaillard, et serrez-vous le ventre ! Toutes les portes de la fortune, on les refermera sur vous, en vous écrasant la face ! D’abord, cela va sans dire, Monsieur gardera les apparences. Vous irez jusqu’à neuf heures du soir avec deux sous de lait et un petit pain rond qu’on mange dans la poche de sa redingote, tout en trottinant sur le pavé ! Ah ! vous les connaîtrez, les mystères de la toilette, les faux cols en papier, l’encre que l’on repasse sur les coutures blanchies, les sous-pieds tendus pour retenir les semelles trop vieilles, et l’habit noir boutonné jusqu’au menton, pour cacher l’absence du linge.

Il apparaît dans le costume décrit.

Vous ne faiblirez pas ! vous lutterez ! Mais personne ne voudra de vous !… On ne va pas chercher ceux qui se cachent ! qui donc s’inquiète des pauvres ? et comme une première chute est la cause naturelle d’une seconde, peu à peu vous dégringolerez, mon bonhomme ; la misère augmentera, elle deviendra irrémédiable et constitutionnelle ! « Clic ! clac ! clac ! gare-toi de là, manant !… » et du fond de votre ruisseau, par un temps de verglas, en plein hiver, vous distinguerez à des hauteurs vertigineuses, derrière la mousseline des larges croisées, tournoyer sous des lustres, dans le flamboiement des festins, toutes les convoitises de votre cœur.

Le côté droit de la muraille s’entr’ouvre et laisse voir un bal splendide, puis se referme.

Alors commenceront pour vous, dans Paris, ces longues promenades du pauvre le long des quais et des boulevards. Plus vague et funeste que le Bédouin dans le désert, vous chercherez quelque bonne occasion, un parapluie perdu, une bourse tombée, en