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peu, surtout dans ce temps où tous ont le dos courbé sous le poids de l’aimable régime que nous portons.

 

Salammbô est presque une insulte pour le public actuel. Elle lui est une mesure de son amoindrissement ; elle lui rappelle qu’il y a autre chose que les cancans de coulisses ; elle l’offense dans son esprit et dans ses calembours. N’importe, vous avez porté un grand coup, et qui aura un long retentissement. Ceux que vous n’avez pas convaincus, vous les avez avertis, si malgré eux ils avaient désormais votre voix dans les oreilles. Et dès à présent vous êtes compris de tous ceux qui ne consentent pas à l’abaissement intellectuel que nous a fait l’abaissement politique ; je suis de ceux-ci et je vous félicite de Salammbô, et je vous en remercie. Après tous ces succès misérables et tous ces chefs-d’œuvre saugrenus qu’on admire à quatre pattes et en prenant bien garde de les écraser, c’est si bon et si sain d’admirer debout, la poitrine ouverte aux grands souffles et les yeux dans les étoiles !

À vous de plus en plus.

Auguste Vacquerie.
6 janvier 1863.

Mon cher Monsieur Flaubert,

Je voulais courir chez vous aujourd’hui, cela m’a été impossible, mais je ne puis attendre plus longtemps pour vous dire que votre livre m’a rempli d’admiration, d’étonnement, de terreur même… J’en suis effrayé, j’en ai rêvé ces dernières nuits. Quel style ! quelle science archéologique ! quelle imagination ! Oh ! votre Salammbô mystérieuse et son secret amour involontaire et si plein d’horreur pour l’ennemi qui l’a violée est une invention de la plus haute poésie, tout en restant dans la vérité la plus vraie.

Laissez-moi serrer votre main puissante et me dire votre admirateur dévoué.

Hector Berlioz.
Paris, 4 novembre 1862.

P. S. Qu’on ose maintenant calomnier notre langue !…