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des larmes venaient à leurs paupières. Ils se contenaient cependant.

Hamilcar se détourna pour parler à quelqu’un. Alors, ils se ruèrent dessus, tous, à plat ventre. Leurs visages trempaient dans la graisse, et le bruit de leur déglutition se mêlait aux sanglots de joie qu’ils poussaient. Plutôt par étonnement que par pitié, sans doute, on les laissa finir la gamelle. Quand ils se furent relevés, Hamilcar commanda, d’un signe, à l’homme qui portait le baudrier de parler. Spendius avait peur ; il balbutiait.

Hamilcar, en l’écoutant, faisait tourner autour de son doigt une grosse bague d’or, celle qui avait empreint sur le baudrier le sceau de Carthage. Il la laissa tomber par terre ; Spendius, tout de suite, la ramassa ; devant son maître, ses habitudes d’esclave le reprenaient. Les autres frémirent, indignés de cette bassesse.

Mais le Grec haussa la voix, et, rapportant les crimes d’Hannon, qu’il savait être l’ennemi de Barca, tâchant de l’apitoyer avec le détail de leurs misères et les souvenirs de leur dévouement, il parla pendant longtemps, d’une façon rapide, insidieuse, violente même ; à la fin, il s’oubliait, entraîné par la chaleur de son esprit.

Hamilcar répliqua qu’il acceptait leurs excuses. Donc la paix allait se conclure, et maintenant elle serait définitive ! Mais il exigeait qu’on lui livrât dix des Mercenaires, à son choix, sans armes et sans tunique.

Ils ne s’attendaient pas à cette clémence ; Spendius s’écria :

— Oh ! vingt, si tu veux, Maître !