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daient à quelque chose d’imprévu et qui serait terrible. La nuit se passa dans une grande angoisse ; plusieurs même se débarrassèrent de leurs armes pour attendrir le Suffète quand il se présenterait.

Le lendemain, à la troisième veille du jour, un second coureur parut, encore plus haletant et noir de poussière. Le Grec lui arracha des mains un rouleau de papyrus chargé d’écritures phéniciennes. On y suppliait les Mercenaires de ne pas se décourager ; les braves de Tunis allaient venir avec de grands renforts.

Spendius lut d’abord la lettre trois fois de suite ; et, soutenu par deux Cappadociens qui le tenaient assis sur leurs épaules, il se faisait transporter de place en place, et la relisait. Pendant sept heures, il harangua.

Il rappelait aux Mercenaires les promesses du Grand Conseil ; aux Africains, les cruautés des intendants ; à tous les Barbares, l’injustice de Carthage. La douceur du Suffète était un appât pour les prendre. Ceux qui se livreraient, on les vendrait comme des esclaves ; les vaincus périraient suppliciés. Quant à s’enfuir, par quelles routes ? Pas un peuple ne voudrait les recevoir ; tandis qu’en continuant leurs efforts, ils obtiendraient à la fois la liberté, la vengeance, de l’argent ! Et ils n’attendraient pas longtemps, puisque les gens de Tunis, la Libye entière se précipitait à leur secours. Il montrait le papyrus déroulé :

— Regardez donc ! lisez ! voilà leurs promesses ! Je ne mens pas.

Des chiens erraient, avec leur museau noir tout plaqué de rouge. Le grand soleil chauffait les têtes