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elle teignit de lausonia l’intérieur de ses mains, passa du vermillon sur ses joues, de l’antimoine au bord de ses paupières, et allongea ses sourcils avec un mélange de gomme, de musc, d’ébène et de pattes de mouches écrasées.

Salammbô, assise dans une chaise à montants d’ivoire, s’abandonnait aux soins de l’esclave. Ces attouchements, l’odeur des aromates et les jeûnes qu’elle avait subis, l’énervaient. Elle devint si pâle que Taanach s’arrêta.

— Continue ! dit Salammbô.

Et, se raidissant contre elle-même, elle se ranima tout à coup. Alors une impatience la saisit ; elle pressait Taanach de se hâter, et la vieille esclave, en grommelant :

— Bien ! bien ! Maîtresse !… Tu n’as d’ailleurs personne qui t’attende !

— Oui ! dit Salammbô, quelqu’un m’attend.

Taanach se recula de surprise, et, afin d’en savoir plus long :

— Que m’ordonnes-tu, maîtresse ? car si tu dois rester partie…

Salammbô sanglotait ; l’esclave s’écria :

— Tu souffres ! qu’as-tu donc ? Ne t’en va pas ! emmène-moi ! Quand tu étais toute petite et que tu pleurais, je te prenais sur mon cœur et je te faisais rire avec la pointe de mes mamelles ; tu les as taries, maîtresse !

Elle se donnait des coups sur sa poitrine desséchée.

— Maintenant je suis vieille ! je ne peux rien pour toi ! tu ne m’aimes plus ! tu me caches tes douleurs, tu dédaignes ta nourrice !

Et de tendresse et de dépit, des larmes cou-