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çà et là trembler des taches lumineuses, et Salammbô, tout en marchant, tournait un peu la tête pour les voir. Elle allait prendre par le goulot les amphores suspendues ; elle se rafraîchissait la poitrine sous les larges éventails, ou bien elle s’amusait à brûler du cinnamome dans des perles creuses. Au coucher du soleil, Taanach retirait les losanges de feutre noir bouchant les ouvertures de la muraille ; alors ses colombes, frottées de musc comme les colombes de Tanit, tout à coup entraient, et leurs pattes roses glissaient sur les dalles de verre parmi les grains d’orge qu’elle leur jetait à pleines poignées, comme un semeur dans un champ. Soudain elle éclatait en sanglots, et elle restait étendue sur le grand lit fait de courroies de bœuf, sans remuer, en répétant un mot, toujours le même, les yeux ouverts, pâle comme une morte, insensible, froide ; cependant elle entendait le cri des singes dans les touffes des palmiers, avec le grincement continu de la grande roue qui, à travers les étages, amenait un flot d’eau pure dans la vasque de porphyre.

Quelquefois, durant plusieurs jours, elle refusait de manger. Elle voyait en rêve des astres troubles qui passaient sous ses pieds. Elle appelait Schahabarim, et, quand il était venu, n’avait plus rien à lui dire.

Elle ne pouvait vivre sans le soulagement de sa présence. Mais elle se révoltait intérieurement contre cette domination ; elle sentait pour le prêtre tout à la fois de la terreur, de la jalousie, de la haine et une espèce d’amour, en reconnaissance de la singulière volupté qu’elle trouvait près de lui.