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sur la tête, des chèvres en bêlant erraient sous les faisceaux des piques ; on relevait les sentinelles, on mangeait autour des trépieds. Les tribus leur fournissaient des vivres abondamment, et ils ne se doutaient pas eux-mêmes combien leur inaction effrayait l’armée punique.

Dès le second jour, les Carthaginois avaient remarqué dans le camp des Nomades une troupe de trois cents hommes à l’écart des autres. C’étaient les Riches, retenus prisonniers depuis le commencement de la guerre. Des Libyens les rangèrent tous au bord du fossé, et, postés derrière eux, ils envoyaient des javelots en se faisant un rempart de leur corps. À peine pouvait-on reconnaître ces misérables, tant leur visage disparaissait sous la vermine et les ordures. Leurs cheveux arrachés par endroits laissaient à nu les ulcères de leur tête ; et ils étaient si maigres et hideux qu’ils ressemblaient à des momies dans des linceuls troués. Quelques-uns sanglotaient d’un air stupide ; les autres criaient à leurs amis de tirer sur les Barbares. Il y en avait un, tout immobile, le front baissé, qui ne parlait pas ; sa grande barbe blanche tombait jusqu’à ses mains couvertes de chaînes ; et les Carthaginois, en sentant au fond de leur cœur comme l’écroulement de la République, reconnaissaient Giscon. Bien que la place fût dangereuse, ils se poussaient pour le voir. On l’avait coiffé d’une tiare grotesque, en cuir d’hippopotame, incrustée de cailloux. C’était une imagination d’Autharite ; mais cela déplaisait à Mâtho.

Hamilcar exaspéré fit ouvrir les palissades, résolu à se faire jour n’importe comment ; et d’un train furieux les Carthaginois montèrent jusqu’à