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dans la tente de Mâtho ; et, accroupis autour d’un bouclier, ils avançaient et reculaient attentivement les petites figurines de bois, inventées par Pyrrhus, pour reproduire les manœuvres. Spendius démontrait les ressources d’Hamilcar ; il suppliait de ne point compromettre l’occasion et jurait par tous les dieux. Mâtho, irrité, marchait en gesticulant. La guerre contre Carthage était sa chose personnelle ; il s’indignait que les autres s’en mêlassent sans vouloir lui obéir. Autharite, devinant ses paroles à sa figure, applaudissait. Narr’Havas levait le menton en signe de dédain ; pas une mesure qu’il ne jugeât funeste ; et il ne souriait plus. Des soupirs lui échappaient comme s’il eût refoulé la douleur d’un rêve impossible, le désespoir d’une entreprise manquée.

Pendant que les Barbares, incertains, délibéraient, le Suffète augmentait ses défenses ; il fit creuser en deçà des palissades un second fossé, élever une seconde muraille, construire aux angles des tours de bois ; ses esclaves allaient jusqu’au milieu des avant-postes enfoncer les chausse-trapes dans la terre. Mais les éléphants, dont les rations étaient diminuées, se débattaient dans leurs entraves. Pour ménager les herbes, il ordonna aux Clinabares de tuer les moins robustes des étalons. Quelques-uns s’y refusèrent ; il les fit décapiter. On mangea les chevaux. Le souvenir de cette viande fraîche, les jours suivants, fut une grande tristesse.

Du fond de l’amphithéâtre où ils se trouvaient resserrés, ils voyaient tout autour d’eux, sur les hauteurs, les quatre camps des Barbares pleins d’agitation. Des femmes circulaient avec des outres