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litière du Suffète (sa grande litière à pendeloques de cristal), que l’on apercevait, depuis le commencement, balancée dans les soldats comme une barque sur les flots, tout à coup sombra. Il était mort sans doute ? Les Barbares se trouvèrent seuls.

La poussière autour d’eux tombait et ils commençaient à chanter, lorsque Hannon lui-même parut au haut d’un éléphant. Il était nu-tête, sous un parasol de byssus, que portait un nègre derrière lui. Son collier à plaques bleues battait sur les fleurs de sa tunique noire ; des cercles de diamants comprimaient ses bras, et la bouche ouverte, il brandissait une pique démesurée, épanouie par le bout comme un lotus et plus brillante qu’un miroir.

Aussitôt la terre s’ébranla, et les Barbares virent accourir, sur une seule ligne, tous les éléphants de Carthage avec leurs défenses dorées, les oreilles peintes en bleu, revêtus de bronze, et secouant par-dessus leurs caparaçons d’écarlate des tours de cuir, où dans chacune trois archers tenaient un grand arc ouvert.

À peine si les soldats avaient leurs armes ; ils s’étaient rangés au hasard. Une terreur les glaça ; ils restèrent indécis.

Déjà du haut des tours on leur jetait des javelots, des flèches, des phalariques, des masses de plomb ; quelques-uns, pour y monter, se cramponnaient aux franges des caparaçons. Avec des coutelas on leur abattait les mains, et ils tombaient à la renverse sur les glaives tendus. Les piques trop faibles se rompaient, les éléphants passaient dans les phalanges comme des sangliers dans des