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Mâtho cependant assiégeait Hippo-Zaryte.

Mais la ville était protégée par un lac communiquant avec la mer. Elle avait trois enceintes, et sur les hauteurs qui la dominaient se développait un mur fortifié de tours. Jamais il n’avait commandé de pareilles entreprises. Puis la pensée de Salammbô l’obsédait, et il rêvait dans les plaisirs de sa beauté, comme les délices d’une vengeance qui le transportait d’orgueil. C’était un besoin de la revoir âcre, furieux, permanent. Il songea même à s’offrir comme parlementaire, espérant qu’une fois dans Carthage, il parviendrait jusqu’à elle. Souvent il faisait sonner l’assaut, et, sans rien attendre, s’élançait sur le môle qu’on tâchait d’établir dans la mer. Il arrachait les pierres avec ses mains, bouleversait, frappait, enfonçait partout son épée. Les Barbares se précipitaient pêle-mêle ; les échelles rompaient avec un grand fracas, et des masses d’hommes s’écroulaient dans l’eau qui rejaillissait en flots rouges contre les murs ; le tumulte s’affaiblissait, et les soldats s’éloignaient pour recommencer.

Mâtho allait s’asseoir en dehors des tentes ; il essuyait avec son bras sa figure éclaboussée de sang, et, tourné vers Carthage, il regardait l’horizon.

En face de lui, dans les oliviers, les palmiers, les myrtes et les platanes, s’étalaient deux larges étangs qui rejoignaient un autre lac dont on n’apercevait pas les contours. Derrière une montagne surgissaient d’autres montagnes, et, au milieu du lac immense, se dressait une île toute noire et de forme pyramidale. Sur la gauche, à l’extrémité du golfe, des tas de sable semblaient