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cupent peu du Salon ! et même de l’Exposition de l’industrie ; comme ils s’embarrassent médiocrement de l’Opéra qui va rouvrir et du Rocher de Cancale qui est fermé ; comme ils ne causent pas de ce dont on cause : le Jockey-Club, les courses de Chantilly, les dettes de Dumas, les cuirs de M. de Rambuteau, le nez d’Hyacinthe, etc.

C’est une chose dont on ne peut se défendre que cet étonnement imbécile qui vous prend à considérer les gens vivant où nous ne vivons point et passant leur temps à d’autres affaires que les nôtres. Vous rappelez-vous souvent, en traversant un village le matin, quand le jour se levait, avoir aperçu quelque bourgeois ouvrant ses auvents ou balayant le devant de sa porte, et qui s’arrêtait bouche béante à vous regarder passer ? À peine s’il a pu distinguer votre visage ni vous le sien, et dans cet éclair pourtant tous les deux, au même instant, vous vous êtes ébahis dans un immense étonnement ; il se disait en vous regardant fuir : « Où va-t-il donc celui-là et pourquoi voyage-t-il ? », et vous qui couriez : « Qu’est-ce qu’il fait là ? disiez-vous, est-ce qu’il y reste toujours ? »

Il faut assez de réflexion et de force d’esprit pour saisir nettement que tout le monde n’habite pas la même ville, ne se chausse pas chez votre bottier, ne s’habille pas chez votre tailleur, dîne à d’autres heures que vous, et n’ait pas vos idées ; mais je ne comprends point encore comment on existe lorsqu’on est notaire, comment il se peut