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il n’eut plus d’argent, il vendit ses terres ; quand il eut vendu ses terres, il chercha l’or ; et quand il eut détruit ses fourneaux, il appela le diable. Il lui écrivit qu’il lui donnerait tout, sauf son âme et sa vie. Il fit des sacrifices, des encensements, des aumônes et des solennités en son honneur. C’était là que vivait cet homme. Ces caveaux se rougissaient sous le vent incessant des soufflets magiques, ces murs s’illuminaient la nuit à l’éclat des torches qui brûlaient au milieu des hanaps pleins de vin des îles, et parmi les jongleurs bohêmes ; on invoquait l’enfer, on se régalait avec la mort, on égorgeait des enfants, on avait d’épouvantables joies et d’atroces plaisirs ; le sang coulait, les instruments jouaient, tout retentissait de voluptés, d’horreurs et de délires.

Quand il fut mort, quatre ou cinq demoiselles firent ôter son corps du bûcher, l’ensevelirent et le firent porter aux Carmes où, après des obsèques fort honorables, il fut inhumé solennellement.

On lui éleva sur un des ponts de la Loire, en face de l’Hôtel de la Boule-d’Or, un monument expiatoire ; c’était une niche dans laquelle se trouvait la statue de la bonne Vierge de Crée-lait qui avait la vertu d’accorder du lait aux nourrices ; on y apportait du beurre et d’autres offrandes rustiques. La niche y est encore, mais la statue n’y est plus, de même qu’à l’hôtel de ville la boîte qui contenait le cœur de la reine Anne est vide aussi. Nous étions peu curieux de voir cette boîte,