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tournants qui s’écroulent et qui ouvrent sur l’abîme leurs portes vides. Quelquefois un oiseau, débusquant de son nid accroché dans les ronces, au fond d’un angle sombre, s’abaissait, les ailes étendues, et passait par l’arcade d’une fenêtre pour s’en aller dans la campagne.

Au haut d’un pan de muraille élevé, nu, gris, sec, des baies carrées, inégales de grandeur et d’alignement, laissaient éclater à travers leurs barreaux croisés le bleu vif du ciel qui tirait l’œil à lui par la séduction de sa couleur. Les moineaux dans les arbres poussaient leur cri aigre et répété. Une vache broutait, qui marchait là dedans comme dans un herbage, épatant sur l’herbe sa corne fendue.

Il y a une fenêtre, donnant sur une prairie que l’on appelle la prairie des Chevaliers. C’était, de dessus ces bancs de pierres entaillées dans l’épaisseur de la muraille, que les grandes dames d’alors pouvaient voir les chevaliers entrechoquer le poitrail bardé de fer de leurs chevaux et la masse d’armes descendre sur les cimiers, les lances se rompre, les hommes tomber sur le gazon. Par un beau jour d’été comme aujourd’hui, peut-être, quand ce moulin qui claque sa cliquette et met en bruit tout le paysage n’existait pas, quand il y avait des toits au haut de ces murailles, des cuirs de Flandre sur ces parois, des lames de corne à ces fenêtres, moins d’herbe, et des voix et des rumeurs de vivants, oui, là, plus d’un cœur, serré dans sa gaine de velours rouge, a battu d’an-